Réflexion de Lamennais - Livre 1, chapitre 1

Nous n'avons ici-bas qu'un intérêt, celui de notre salut, et nul ne peut être sauvé qu'en Jésus-Christ et par Jésus-Christ.

La foi en sa parole, l'obéissance à ses commandements, l'imitation de ses vertus, voilà la vie, il n'y en a point d'autre: tout le reste est vanité, et j'ai vu, dit le Sage, que l'homme n'a rien de plus de tous les travaux dont il se consume sous le soleil: richesses, plaisirs, grandeurs, qu'est ce que cela, lorsqu'on jette le corps dans la fosse, et que l'âme s'en va dans son éternité?

Pensez-y dès aujourd'hui, dès ce moment même: car demain peut-être il ne sera plus temps. Travaillez pendant que le jour luit: hâtez-vous d'amasser un trésor qui ne périsse point: la nuit vient où on ne peut rien faire. De stériles désirs ne vous sauveront pas: ce sont des œuvres que Dieu veut. Or donc imitez Jésus, si vous voulez vivre éternellement avec Jésus.


Réflexion de Lamennais - Livre 1, chapitre 2

L'orgueil a perdu l'homme, l'humilité le relève et le rétablit en grâce avec Dieu: son mérite n'est pas dans ce qu'il sait mais dans ce qu'il fait.

La science sans les œuvres ne le justifiera point au tribunal suprême, elle aggravera plutôt son jugement. Ce n'est pas que la science n'ait ses avantages, puisqu'elle vient de Dieu: mais elle cache un grand piège et une grande tentation. Elle enfle, dit l'Apôtre: elle nourit le superbe, elle inspire une secrète préférence de soi, préférence criminelle et folle en même temps, car la science la plus étendue n'est qu' un autre genre d'ignorance, et la vraie perfection consiste uniquement dans les dispositions du cœur.

N'oublions jamais que nous ne sommes rien, que nous ne possédons en propre que le péché, que la justice veut que nous nous abaissions au-dessous de toutes les créatures, et que dans le royaume de Jésus-Christ, les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers.


Réflexion de Lamennais - Livre 1, chapitre 3

Il y a deux doctrines, mais il n'y a qu'une vérité.

Il y a deux doctrines: l'une de Dieu, immuable comme lui, l'autre de l'homme, changeante comme lui. La Sagesse incréée, le Verbe divin, répand la première dans les âmes préparées à la recevoir. Et la lumière qu'elle leur communique est une partie d'elle-même, de la vérité substantielle et toujours vivante. Offerte à tous, elle est donnée avec plus d'abondance à l'humble de cœur. Et comme elle ne vient pas de lui, qu'elle peut à chaque instant lui être retirée, qu'elle ne dépend en aucune façon de l'intelligence qu'elle éclaire, il la possède sans être tenté de vaine complaisance dans sa possession.

La doctrine de l'homme, au contraire, flatte son orgueil, parce qu'il en est le père: "Cette idée m'appartient, j'ai dit cela le premier, on ne savait rien là-dessus avant moi." Esprit superbe, voilà ton langage. Mais bientôt on conteste à cette puissante raison ce qui fait sa joie; on rit de ses idées fausses qu'elle a crues vraies, de ses découvertes imaginaires. Le lendemain on n'y pense plus, et le temps emporte jusqu'au nom de l'insensé qui ne vécut que pour être immortel sur la terre.

O jésus, daignez mettre en moi votre vérité sainte, et qu'elle me préserve à jamais des égarements de mon propre esprit !


Réflexion de Lamennais - Livre 1, chapitre 4

Dieu devant être la dernière fin de nos actions comme de nos désirs, il est nécessaire qu'en agissant nous évitions de nous abandonner aux mouvements précipités de la nature, dont le penchant est de tout rapporter à soi.

Et comme nul ne se connaît lui-même, et ne peut dès lors être son propre guide, la sagesse veut que nous ne hasardions aucune démarche de quelque importance avant d'avoir pris conseil, en esprit de soumission et d'humilité.

Cette juste défiance de soi prévient les chutes et purifie le cœur. Le conseil vous gardera, dit l'Ecriture, et vous retirera de la voie mauvaise.


Réflexion de Lamennais - Livre 1, chapitre 5

Qu'est-ce que la raison comprend ? Presque rien: mais la foi embrasse l'infini.

Celui qui croit est donc bien au-dessus de celui qui raisonne, et la simplicité de cœur bien préférable à la science qui nourrit l'orgueil. C'est le désir de savoir qui perdit le premier homme: il cherchait la science, il trouva la mort. Dieu, qui nous parle dans l'Ecriture, n'a pas voulu satisfaire notre vaine curiosité, mais nous éclairer sur nos devoirs, exercer notre foi, purifier et nourrir notre âme par l'amour des vrais biens, qui sont tous renfermés en lui.

L'humilité d'esprit est donc la disposition la plus nécessaire pour lire avec fruit les livres saints, et c'est déjà avoir profité beaucoup que de comprendre combien ils sont au-dessus de notre raison faible et bornée.


Réflexion de Lamennais - Livre 1, chapitre 6

Un joug pesant accable les enfants d'Adam, fatigués sans relâche par les convoitises de la nature corrompue.

Succombent-ils, la tristesse, le trouble, l'amertume, le remords, s'emparent aussitôt de leur âme. "Superbe encore au fond de l'ignominie, inquiet et las de moi-même," dit saint Augustin en racontant les désordres de sa jeunesse, "je m'en allais loin de vous, ô mon Dieu, à travers des voies toutes semées de stériles douleurs."

Il en coûte plus à l'homme de céder à ses penchants que de les vaincre; et si le combat contre les passions est dur, une paix ineffable en est le fruit.

Appelons le Seigneur à notre aide dans ce saint combat; n'en craignons point le travail, il sera court : aujourd'hui, demain, et puis le repos éternel !


Réflexion de Lamennais - Livre 1, chapitre 7

En considérant la faiblesse de l'homme, la fragilité de sa vie, les souffrances dont il est assailli de toutes parts, les ténèbres de sa raison, les incertitudes de sa volonté inclinée au mal dès l'enfance, on s'étonne qu'un seul mouvement d'orgueil puisse s'élever dans une créature si misérable, et cependant l'orgueil est le fond même de notre nature dégradée.

Selon la pensée d'un Père, "il nous sépare de la sagesse, il fait que nous voulons être nous-mêmes notre bien, comme Dieu lui-même est son bien" tant il y a de folie dans le crime! C'est alors que l'homme se recherche et s'admire dans tout ce qui le distingue des autres et l'agrandit à ses propres yeux, dans les avantages du corps, de l'esprit, de la naissance, de la fortune, de la grâce même, abusant ainsi à la fois des dons du Créateur et du Rédempteur.

Oh ! que ce désordre est effrayant, et combien nous devons trembler lorsque nous découvrons en nous un sentiment de vaine complaisance, ou qu'il nous arrive de nous préférer à l'un de nos frères. Rappelons-nous souvent le pharisien de l'Evangile, sa fausse piété si contente d'elle-même et si coupable devant Dieu, son mépris pour le publicain qui s'en alla justifié à cause de l'humble aveu de sa misère, et disons au fond du cœur avec celui-ci: Mon Dieu! ayez pitié de moi pauvre pécheur.


Réflexion de Lamennais - Livre 1, chapitre 8

Il faut se prêter aux hommes, et ne se donner qu'à Dieu.

Un commerce trop étroit avec la créature partage l'âme et l'affaiblit : elle doit viser plus haut.

Notre conversation est dans le ciel, dit l'Apôtre.


Réflexion de Lamennais - Livre 1, chapitre 9

Le Christ s'est rendu obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix. Qui oserait après cela refuser d'obéir ? Nul ordre dans le monde, nulle vie que par l'obéissance: elle est le lien des hommes entre eux et avec leur auteur, le fondement de la paix et le principe de l'harmonie universelle.

La famille, la cité, l'Eglise ou la grande société des intelligences ne subsistent que par elle et la perfection la plus haute n'est, pour les créatures, qu'une plus parfaite obéissance; elle seule nous garantit de l'erreur et du péché. Qu'est-ce-que l'erreur ? La pensée d'un esprit faillible, qui ne reconnaît point de maître et n'obéit qu'à soi. Qu'est-ce-que le péché? L'acte d'une volonté corrompue, qui ne reconnaît point de maître et n'obéit qu'à soi.

Mais à qui devons-nous obéir ? A un homme comme nous ? Non, non; l'homme n'a sur l'homme aucun légitime empire; son pouvoir n'est que la force, et quand il commande en son propre nom, il usurpe insolemment un droit qui ne lui appartient en aucune manière. Dieu est l'unique monarque, et toute autorité légitime est un écoulement, une participation de sa puissance éternelle, infinie.

Ainsi, comme l'enseigne l'Apôtre, tout pouvoir vient de Dieu, et il est soumis à une règle divine, aussi bien dans l'ordre temporel que dans l'ordre religieux; de sorte qu'en obéissant au pontife, au prince, au père, à quiconque est réellement le ministre de Dieu pour le bien, c'est à Dieu seul qu'on obéit.

Heureux celui qui comprend cette céleste doctrine. Délivré de la servitude de l'erreur et des passions, de la servitude de l'homme, il jouit de la vraie liberté des enfants de Dieu.


Réflexion de Lamennais - Livre 1, chapitre 10

Il est écrit que nous rendrons compte, au jour du jugement, même d'une parole oiseuse.

Ne nous étonnons pas de tant de rigueur; tout est sérieux dans la vie humaine, dont chaque moment peut avoir de si formidables conséquences. Ce temps, que vous dissipez en des entretiens inutiles, vous était donné pour gagner le ciel.

Comparez la fin pour laquelle vous l'avez reçu avec l'usage que vous en faites. Et cependant, que savez-vous s'il vous sera seulement accordé une heure de plus ?