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Saint Thomas d'Aquin
QUAESTIONES DISPUTATAE DE ANIMA
traduction française

Question 1 : L'âme humaine peut-elle être "forme" et "ce quelque chose"1 ?

Objections : 1. Si l'âme humaine est "ce quelque chose", elle est subsistante et possède par soi un être2 complet. Or ce qui advient à quelque chose après l'être complet lui advient accidentellement, comme la blancheur à l'homme ou le vêtement au corps. Donc, le corps uni à l'âme lui advient accidentellement. Si donc l'âme est "ce quelque chose", elle n'est pas forme substantielle du corps.

2. Si l'âme est "ce quelque chose", elle est nécessairement quelque chose d'individué. Car aucun des universaux n'est individué. Dès lors, elle est individuée ou par un autre ou par soi. Si par un autre, en tant que forme du corps, il lui faut être individuée par le corps, car les formes sont individuées par leur matière propre, de sorte que, une fois quitté le corps, l'individuation de l'âme disparaît, et ainsi l'âme ne pourra être ni "ce quelque chose" ni subsistante par soi. Est-elle par contre individuée par soi, elle est ou bien forme simple, ou bien un composé de matière et de forme. - Si forme simple, alors une âme individuée ne pourra différer d'une autre que par la forme ; or la différence selon la forme fait la diversité d'espèce ; en conséquence, les âmes des divers hommes seront différentes par l'espèce, à supposer l'âme forme du corps, puisque chacun détient son espèce de sa propre forme. - Mais si l'âme est composée de matière et de forme, il lui est impossible d'être toute entière forme d'un corps, car la matière n'est la forme d'aucune chose. Reste donc l'impossibilité pour l'âme d'être simultanément "ce quelque chose" et forme.

3. Si l'âme est un "ce quelque chose", elle est dès lors un individu. Or tout individu est d'une espèce et d'un genre déterminés. il reste donc que l'âme possède un genre et une espèce qui lui sont propres. Or il est impossible à ce qui possède une espèce propre de recevoir, en vue de constituer son espèce, une addition supplémentaire d'une autre chose, parce que, comme dit le Philosophe, les espèces des choses sont pareilles à des nombres : tout ce qui leur est ajouté ou retranché fait varier l'espèce. Or la matière et la forme sont unies pour constituer l'espèce. Si donc l'âme est "ce quelque chose", elle ne serait pas unie au corps comme la forme à la matière.

4. Puisque Dieu a créé les choses en raison de sa bonté, qui se manifeste par les divers degrés des choses, il a institué autant de degrés d'étants que la nature a pu en supporter. Si donc l'âme humaine peut subsister par soi - ce qu'on doit dire si elle est "ce quelque chose" - alors les âmes existant par soi sont un degré particulier parmi les étants. Or sans leur matière, les formes ne sont pas l'un de ces degrés. Donc l'âme, si elle est "ce quelque chose", ne sera pas forme de quelque matière.

5. Si l'âme est "ce quelque chose" et subsiste par soi, elle est incorruptible, puisqu'elle n'a pas de contraire et n'est pas composée de contraires. Or si elle est incorruptible, elle ne peut être proportionnée à un corps corruptible tel que le corps humain. Si donc l'âme est "ce quelque chose", elle ne sera pas forme du corps humain.

6. Hormis Dieu, rien de subsistant n'est acte pur. Si donc l'âme est "ce quelque chose", en tant que subsistant par soi, il y aura en elle composition d'acte et de puissance. Et ainsi elle ne pourra être forme, puisque la puissance n'est l'acte de quoi que ce soit. Si donc l'âme est "ce quelque chose", elle ne sera pas forme.

7. Si l'âme est "ce quelque chose", capable de subsister par soi, elle ne peut être unie au corps que pour son bien, soit essentiel, soit accidentel. Non pour son bien essentiel, puisqu'elle peut subsister sans le corps ; ni pour son bien accidentel, ce que semble bien être la connaissance de la vérité acquise par l'âme au moyen des sens, lesquels ne peuvent exister sans les organes corporels, car les âmes des enfants morts avant de naître ont, au dire de certains, la connaissance certaine des choses naturelles, connaissance dont il est évident qu'ils n'ont pu l'acquérir par les sens. Si donc l'âme est "ce quelque chose", elle n'a aucune raison d'être unie au corps comme forme.

8. La forme et le "ce quelque chose" se divisent par opposition. Le Philosophe dit en effet3 que la substance se divise en trois acceptions : la forme, la matière et le "ce quelque chose". Or les opposés ne se disent pas du même sujet. Donc L'âme ne peut être forme et "ce quelque chose".

9. Le "ce quelque chose" subsiste par soi ; mais le propre de la forme est qu'elle soit dans un autre ; on a donc affaire à des opposés, semble-t-il. Si donc l'âme est "ce quelque chose", il ne semble pas qu'elle soit forme.

10. On a dit que l'âme, à la perte du corps, demeure "ce quelque chose" et subsiste par soi. Mais alors périt en elle la raison de forme. En sens contraire : tout ce qui peut se retrancher de quelque chose alors que demeure la substance, est en elle accidentellement. Si donc la raison de forme périt dans l'âme qui demeure après le corps, c'est que la raison de forme lui est accidentelle. Mais elle n'est unie au corps pour constituer l'homme qu'autant qu'elle est forme. Elle est donc unie au corps accidentellement et, par conséquent, l'homme sera un existant par accident - ce qui ne convient pas.

11. Si l'âme est "ce quelque chose" et qu'elle subsiste par soi, il faut qu'elle ait quelque opération propre, car pour toute chose existant par soi il y a une opération qui lui est propre. Mais l'âme humaine n'a pas d'opération propre puisque même l'acte d'intellection, qui semble au maximum lui être propre, n'est pas de l'âme mais de l'homme par l'âme, comme dit le Philosophe4. Donc l'âme humaine n'est pas "ce quelque chose".

12. Si l'âme humaine est la forme du corps, elle en dépend nécessairement. Car forme et matière dépendent l'une de l'autre. Mais ce qui dépend de quelque chose n'est pas "ce quelque chose". Si donc l'âme est forme du corps, elle n'est pas "ce quelque chose".

13. Si l'âme est forme du corps, unique est l'être de l'âme et du corps, car c'est de la matière et de la forme que résulte quelque chose d'un du point de vue de l'être. Mais de l'âme et du corps il ne peut y avoir un unique être puisqu'ils relèvent de genres divers. L'âme est en effet dans le genre des substances incorporelles, et le corps dans le genre des substances corporelles. Donc l'âme ne peut être forme du corps.

13 bis. L'âme détient son être propre de ses propres principes. Aurait-elle un être commun avec le corps, elle aurait donc un double être, ce qui est impossible.

14. L'être du corps est corruptible et résulte de parties quantitatives. Or l'âme est incorruptible et simple. Il n'y a donc pas d'être unique de l'âme et du corps.

15. On a dit que le corps humain tire de l'âme l'être même du corps. En sens contraire : le Philosophe dit5 que l'âme est l'acte du corps physique organisé. Donc ce que l'on compare à l'âme comme la matière à l'acte est déjà un corps physique organisé, ce qui ne peut être que par quelque forme le constituant dans le genre du corps. Le corps humain a donc son être indépendamment de l'être de l'âme.

16. Les principes essentiels, matière et forme, sont ordonnés à l'être. Mais là où un [principe] suffit, deux sont superflus. Si donc l'âme, au titre de "ce quelque chose", a en soi son être propre, le corps ne lui sera pas adjoint par nature comme la matière à la forme.

17. L'être est en rapport à la substance de l'âme comme son acte, et ainsi il faut qu'il soit en elle ce qu'il y a de plus haut. Or l'inférieur ne touche pas le supérieur à son sommet mais plutôt à sa base. Denys dit en effet6 que la divine sagesse a conjoint le terme des premiers au commencement des seconds. Donc le corps qui est inférieur à l'âme ne touche pas à ce qui est en elle au plus haut, l'être.

18. A être unique, opération unique. Si donc l'être de l'âme humaine est joint au corps, son opération - l'intellection - sera commune à l'âme et au corps, ce qui est impossible, comme la prouve le Philosophe7. Il n'y a donc pas d'être unique de l'âme humaine et du corps. En conséquence, l'âme n'est pas forme du corps et "ce quelque chose".

En sens contraire : 1. Chacun détient l'espèce de sa forme propre. Mais l'homme est homme en tant que doué de raison. Donc l'âme rationnelle est la forme propre de l'homme. Or elle est "ce quelque chose", et subsiste par soi, puisqu'elle opère par soi : en effet l'intellect n'agit pas par un organe corporel8. Donc l'âme humaine est "ce quelque chose" et forme.

2. L'ultime perfection de l'âme humaine consiste dans la connaissance de la vérité qui se fait par l'intellect. Or pour que l'âme atteigne sa perfection dans la connaissance de la vérité, elle a besoin d'être unie au corps, parce qu'elle pense par le moyen des images, lesquels n'existent pas sans le corps. Il est donc nécessaire qu'elle soit unie au corps comme forme, alors même qu'elle est "ce quelque chose".

Réponse : On appelle "ce quelque chose" l'individu dans le genre de la substance. Le Philosophe dit en effet9 que les substances premières signifient indubitablement "ce quelque chose" ; quant aux substances secondes, bien qu'elles paraissent signifier "ce quelque chose", elles signifient plutôt "quel" est "ce quelque chose".

Or l'individu dans le genre de la substance non seulement a pour lui de pouvoir subsister par soi, mais aussi d'être quelque chose de complet en quelque espèce et genre de la substance. C'est pourquoi le Philosophe, dans le Traité des Prédicaments10, dénomme la main ou le pied et les choses semblables parties des substances plutôt que substances premières ou secondes : parce que de telles choses, bien qu'elles ne soient pas dans une autre comme dans un sujet, ne partagent pas complètement la nature de quelque espèce. De là elles ne sont ni dans quelque espèce ni dans quelque genre, sauf par réduction.

Ces deux composantes qui entrent dans la raison du "ce quelque chose", certains philosophes les ont écartées l'une et l'autre de l'âme humaine, disant que l'âme est une "harmonie", comme Empédocle, ou une "complexion", comme Galien, ou quelque chose de ce genre. Alors en effet, l'âme ne pourrait ni subsister par soi, ni être quelque chose de complet en quelque espèce ou genre de la substance, mais elle ne serait qu'une forme, semblable aux autres formes matérielles. Mais cette position ne peut tenir (a) ni quant à l'âme végétative, dont les opérations doivent avoir quelque principe émergeant des qualités actives ou passives, qui n'ont qu'un rôle instrumental dans la nutrition ou la croissance, comme Aristote le prouve11 : or "l'harmonie" ou la "complexion" ne transcendent pas les qualités élémentaires ; (b) ni quant à l'âme sensitive dont les opérations consistent à recevoir les espèces des choses sans la matière12 : car les qualités actives et passives, en tant qu'elles existent comme dispositions de la matière, ne s'étendent pas au delà de la matière ; (c) mais la thèse tient encore moins en ce qui concerne l'âme rationnelle, dont les opérations sont d'abstraire les espèces non seulement de la matière, mais de toutes les conditions matérielles individuantes, ce qui est requis pour la connaissance de l'universel.

En outre, il faut prendre en considération quelque chose de plus spécifiquement propre à l'âme rationnelle : c'est que non seulement elle reçoit les espèces intelligibles sans la matière et sans les conditions de la matière, mais encore il est impossible que quelque organe corporel prenne part à son opération propre, comme s'il y avait quelque organe corporel de l'intellection, au sens où l'œil l'est de la vision. Il faut ainsi que l'âme intellective agisse par soi, en tant qu'elle a une opération propre sans communion du corps.

Et puisque chacun agit selon qu'il est en acte, il faut que l'âme intellective ait l'être par soi, absolument, sans dépendance au corps. Les formes qui ont en effet un être dépendant de la matière ou d'un sujet n'ont pas d'opération par soi : ce n'est pas la chaleur qui agit, mais le chaud. C'est pourquoi les philosophes postérieurs jugèrent que la partie intellective de l'âme est quelque chose de subsistant par soi. Le Philosophe dit en effet13 que l'âme est une certaine substance et ne se corrompt pas. Et là il rappelle ce que dit Platon, affirmant que l'âme est immortelle et subsiste par soi du fait qu'elle se meut par soi. Il prend le mouvement dans un sens large pour toute opération, de telle sorte qu'il faut comprendre que l'intellect se meut lui-même parce qu'il agit par soi.

Mais par suite Platon affirma que l'âme humaine, non seulement subsisterait par soi, mais qu'elle posséderait en soi une nature spécifique complète. Il affirmait en effet que la nature de l'espèce est tout entière dans l'âme, disant que l'homme n'est pas quelque chose de composé d'une âme et d'un corps, mais une âme usant d'un corps, de telle sorte qu'elle serait comparable au corps comme le pilote à son navire, ou le vêtu au vêtement. Mais cette opinion ne peut tenir. Il est manifeste que l'âme est ce par quoi le corps vit, et que le vivre est l'être des vivants : l'âme est donc ce par quoi le corps humain a l'être en acte, ce qui est le fait d'une forme. L'âme humaine est donc la forme du corps. De plus, si l'âme était dans le corps comme le pilote dans le navire, elle ne spécifierait pas le corps ni ses parties ; mais le contraire apparaît du fait que, l'âme s'étant retirée, aucune partie du corps ne retient plus le nom qu'elle avait, sinon de manière équivoque. Car l'œil d'un mort est dit par équivoque un œil, et de même l'œil peint ou sculpté, et il en va ainsi des autres parties du corps. De plus, si l'âme était dans le corps comme le pilote dans le navire, il s'ensuivrait que l'union de l'âme et du corps serait accidentelle et la mort, qui signifie leur séparation, ne serait plus une corruption substantielle, ce qui est manifestement faux. Il reste donc que l'âme est "ce quelque chose", comme pouvant subsister par soi ; non comme si elle avait en soi l'espèce complète de l'homme, mais comme menant à la perfection l'espèce humaine en tant que forme du corps. Elle est donc à la fois "forme" et "ce quelque chose".

C'est ce que l'on peut observer dans l'ordre des formes naturelles. On trouve en effet parmi les formes des corps inférieurs que l'une ou l'autre sera d'autant plus élevée qu'elle sera plus semblable et proche des principes supérieurs. On peut en juger d'après les opérations propres des formes. Les formes des éléments, qui sont au plus bas et les plus proches de la matière, n'ont pas d'opération excédant les qualités actives et passives, telles le rare et le dense, qui sont des dispositions de la matière. Au dessus sont les formes des corps mixtes qui, outre les opérations susdites, ont quelque opération consécutive à l'espèce qu'elles reçoivent des corps célestes : que l'aimant attire le fer, c'est à cause, non pas de la chaleur ou du froid ou de quelque autre qualité, mais de la participation d'une force céleste. Au dessus sont les âmes des plantes qui ont ressemblance non seulement aux corps célestes mais à leurs moteurs, en tant qu'elles sont principes du mouvement par lequel elles se meuvent elles-mêmes. Au dessus encore sont les âmes des animaux qui ont ressemblance à la substance motrice des corps célestes, non seulement dans l'opération par laquelle elles meuvent les corps, mais encore en ce qu'elles sont en elles-mêmes capables de connaissance, bien que la connaissance des animaux ne portent que sur les choses matérielles, et matériellement, de sorte qu'elle a besoin d'organes corporels. Enfin, au dessus des formes matérielles sont les âmes humaines, qui présentent une ressemblance avec les substances supérieures dans l'ordre de la connaissance, parce qu'elles peuvent connaître des objets immatériels par l'acte d'intellection. Elles leur sont inférieures cependant en ce qu'il est de la nature de l'âme humaine d'acquérir la connaissance immatérielle propre à l'intellect de la connaissance des choses matérielles, donc par l'intermédiaire des sens.

Ainsi donc on peut connaître le mode d'être de l'âme humaine à partir de son opération. En tant qu'elle dispose d'une opération qui transcende les choses matérielles, son être est élevé au dessus du corps, et ne dépend pas de lui. Mais en tant que sa nature est d'acquérir la connaissance immatérielle à partir d'une connaissance matérielle, il est manifeste que la complétude de son espèce ne peut être sans l'union au corps. En effet, rien n'est complet selon l'espèce s'il n'a pas ce qui est requis à l'opération propre de l'espèce. Si donc l'âme humaine, en tant qu'elle est unie au corps comme forme, a cependant un être qui s'élève au dessus du corps et ne dépend pas de lui, il est manifeste qu'elle- même est établie aux confins des substances corporelles et des substances séparées.

Solutions : 1. Bien que l'âme ait un être complet, il ne s'ensuit pas cependant que le corps soit uni à l'âme accidentellement. D'une part, parce que ce même être de l'âme est communiqué au corps de telle sorte que soit unique l'être de la totalité du composé ; d'autre part, parce que l'âme, bien qu'elle puisse subsister par soi, n'a pas d'espèce complète, mais le corps lui advient au titre de complément de l'espèce.

2. Avoir l'être, avoir l'individuation vont de pair. Les universaux n'ont pas d'être dans la réalité comme universaux, à moins d'être individués. Or de même que l'âme procède de Dieu comme d'un principe agent et qu'elle est dans le corps comme dans la matière et que cependant elle ne périt pas quand périt le corps, de même l'individuation de l'âme, bien qu'elle ait quelque relation au corps, ne périt pas quand périt le corps.

3. L'âme n'est pas "ce quelque chose" en tant que substance complète, mais en tant que partie de ce qui a une espèce complète, on l'a déjà dit.

4. Bien que l'âme humaine puisse subsister par soi, elle n'a pas par soi une espèce complète. Dès lors, les âmes séparées ne sauraient constituer un degré quelconque parmi les étants.

5. Le corps humain est la matière proportionnée à l'âme humaine. Il se compare à elle comme la puissance à l'acte. Il ne s'ensuit pas qu'il lui soit égal dans le pouvoir d'être, parce que l'âme humaine n'est pas une forme totalement captive de la matière : que telle de ses opérations soit au dessus de la matière le montre assez. Cependant on peut dire autrement, d'après la sentence de foi, que le corps humain fut établi au commencement incorruptible en quelque façon et qu'il encourut par la péché la nécessité de mourir, ce dont il sera libéré de nouveau à la résurrection. C'est donc par accident qu'il n'atteint pas à l'immortalité de l'âme.

6. L'âme humaine, quoique subsistante, est composée de puissance et d'acte, car la substance même de l'âme n'est pas son être mais lui est comparable comme la puissance à l'acte. Il ne suit pas cependant que l'âme ne puisse être forme du corps, parce que, même dans les autres formes, ce qui est forme et acte par rapport à ceci est puissance par rapport à cela : ainsi le diaphane qui formellement advient à l'air est cependant en puissance au regard de la lumière.

7. Le corps est uni à l'âme et pour un bien de perfection substantielle, à savoir pour la complétude de l'espèce humaine, et pour un bien de perfection accidentelle, à savoir pour la perfection de la connaissance intellective, que l'âme acquiert des sens. Ce mode d'intellection est en effet naturel à l'homme. Rien n'empêche que les âmes séparées des enfants ou d'autres hommes usent d'un autre mode d'intellection, mais celui-ci leur échoit en raison de la séparation plutôt qu'en raison de la nature spécifique de l'homme.

8. Il n'est pas de la raison du "ce quelque chose" qu'il soit composé de matière et de forme mais seulement qu'il puisse subsister par soi. De là, bien que le composé soit "ce quelque chose", il n'est pas exclu cependant qu'à d'autres [réalités] puisse revenir d'être "ce quelque chose".

9. Être dans un autre comme l'accident dans un sujet supprime la raison d'être "ce quelque chose". Mais être dans un autre à titre de partie, comme l'âme dans l'homme, n'exclut pas tout à fait que ce qui est dans un autre puisse être dit "ce quelque chose".

10. A la corruption du corps, n'est pas retiré à l'âme ce qui lui revient par nature d'être forme, bien qu'elle n'actualise pas la matière comme forme.

11. L'intellection est l'opération propre de l'âme à considérer le principe d'où procède l'opération. En effet, elle ne procède pas de l'âme par la médiation d'un organe corporel, comme la vision par la médiation de l'œil. Cependant le corps communique à cette opération du côté de l'objet, car les images, objets de l'intellect, ne peuvent être sans les organes corporels.

12. L'âme a quelque dépendance au corps en tant que sans le corps elle ne parvient pas à la complétude de son espèce. Cependant, elle ne dépend pas du corps au point de ne pouvoir être sans le corps.

13. Il est nécessaire, si l'âme est forme du corps, qu'il y ait un unique être commun de l'âme et du corps, à savoir l'être du composé. Que l'âme et le corps soient de genre divers ne l'interdit pas car ni l'âme ni le corps ne sont dans une espèce ou un genre sinon par réduction, ainsi que sont réduites les parties à l'espèce ou au genre du tout.

(13 bis : la solution manque)

14. Ce qui est au sens propre corrompu n'est ni la forme, ni la matière, ni l'être, mais le composé. On dit l'être du corps corruptible en tant que le corps fait défection à cet être qui lui était commun comme à l'âme, et qui demeure dans l'âme subsistante. Et l'on dit que l'être du corps tire consistance de ses parties pour autant que, [de la réunion] de ses parties, le corps est constitué tel qu'il puisse recevoir l'être de l'âme.

15. Dans la définition des formes, tantôt le sujet est posé avant d'être informé, comme lorsqu'on dit "le mouvement est l'acte de ce qui existe en puissance" ; et tantôt après être informé, comme lorsqu'on dit "le mouvement est l'acte du mobile" et "la lumière l'acte du lumineux". Et l'on dit l'âme acte du corps organisé en ce sens que l'âme fait être le corps organisé comme la lumière fait quelque chose être lumineux.

16. Les principes essentiels d'une espèce quelconque sont ordonnés non à l'être seulement, mais à l'être de cette espèce. Donc, bien que l'âme puisse être par soi, elle ne peut être sans le corps dans la complétude de son espèce.

17. Quoique l'être soit ce qu'il y a de plus formel, il est cependant ce qu'il y a de plus communicable, encore qu'il ne le soit pas de la même façon aux inférieurs et aux supérieurs. Ainsi le corps participe à l'être de l'âme, mais pas aussi noblement que l'âme.

18. Bien que l'être de l'âme soit en quelque façon celui du corps, cependant le corps n'atteint pas à la participation de l'être de l'âme dans toute sa noblesse et sa force. Et ainsi, il y a quelque opération de l'âme où ne communique pas le corps.

1 "Ce quelque chose" est la traduction littérale de l'expression "hoc aliquid" qui elle-même est la traduction littérale de l'expression technique aristotélicienne tode ti. Les oreilles souffrent mais pourquoi faudrait-il rendre littéraire ce qui est littéral ? Le démonstratif "ce" indique qu'il s'agit d'un individu, "quelque chose" indique qu'il s'agit d'une substance.

2 On sait que le terme "être" en français est amphibologique, puisqu'il désigne tantôt comme substantif un être (ens), et tantôt comme verbe l'acte d'être (esse). Pour éviter toute équivoque, "être" sera toujours employé au sens de acte d'être (actus essendi) et sera souligné pour le rappeler ; "un être" sera rendu par les termes étant, existant (ens). Pour tout ce qui regarde le vocabulaire existentiel, nous renvoyons au livre de M. E. Gilson, L'être et l'essence, Paris, Vrin, 1962, 2e éd., p. 7-21.

3 Aristote, De anima II, 412 a 6-9.

4 Aristote, De anima I, 403 a 8.

5 Aristote, De anima I, 412 b 5-6.

6 De divinis nominibus VII,3.

7 Aristote, De anima II, 429 a 24-27.

8 Aristote, De anima II, 429 a 24-27.

9 Aristote, Categ. 3 b 10-23.

10 Aristote, Categ. 3 a 28-31.

11 Aristote, De anima II, 416 b 17-30.

12 Aristote, De anima II, 424 a 17-11.

13 Aristote, De anima I, 408 b 18-19.


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