DE POTENTIA
Question 1 : La puissance de Dieu dans l'absolu
Article 1 : Y a-t-il de la puissance en Dieu ?
Objections :
Il semble que non.
1. La puissance est en effet le principe d'une opération. Mais l'opération de Dieu, qui est son essence, n'a pas de principe parce qu'elle n'est ni engendrée, ni dépendante. Donc en Dieu il n'y a pas de puissance.
2. On doit attribuer à Dieu tout ce qu'il y a de plus parfait, selon Anselme (Monologium, Ch. 14). Donc on ne doit pas lui attribuer ce qui trouve plus parfait que soi. Mais toute puissance trouve plus parfait qu'elle, à savoir la forme pour la puissance passive, et l'opération pour la puissance active. Donc on ne peut attribuer la puissance à Dieu.
3. La puissance est le principe de changement dans un autre être en tant qu'autre, selon Aristote (V, Métaphysique, texte 12), mais ce principe est une relation et c'est la relation de Dieu à ses créatures, selon qu'on la définit dans sa puissance à créer ou à mouvoir. Mais en Dieu, il n'y a aucune relation en réalité, mais seulement en raison. Donc, il n'y a pas réellement de puissance en Dieu.
4. Un "habitus" est une puissance plus parfaite, en tant que plus proche pour celui qui opère, mais on n'admet pas d'habitus en Dieu. Donc pas de puissance non plus.
5. On ne doit rien attribuer à Dieu qui déroge à sa prééminence ou à sa simplicité. Mais Dieu, en tant qu'agent simple et premier agit par son essence. Donc, on ne doit pas signifier qu'il agit par une puissance qui, au moins, selon la manière de le signifier, ajoute à son essence
6. Selon Aristote (III Phys., texte 32), être et pouvoir ne diffèrent pas toujours ; donc encore beaucoup moins en Dieu. Mais s'ils sont une même chose, on doit avoir un même nom pris du plus digne. L'essence est plus digne que la puissance, parce que cette dernière s'ajoute à l'essence. Donc en Dieu, on ne doit désigner essentiellement que l'essence seule et non la puissance.
7. La matière première est puissance pure, de même Dieu est acte pur. Mais la matière première considérée en son essence est dénuée de tout acte. Donc Dieu, considéré en son essence, est sans toute puissance.
8. Toute puissance séparée de l'acte est imparfaite et comme rien d'imparfait ne convient à Dieu, une telle puissance ne peut exister en lui. Si donc il y a une puissance en Dieu, il faut qu'elle soit toujours unie à l'acte, et ainsi la puissance de créer est toujours unie à un acte. Il s'ensuit qu'il a créé de toute éternité, ce qui est hérétique.
9. Quand quelque chose suffit pour agir, ce qu'on ajoute est superflu. Mais l'essence de Dieu est suffisante pour qu'il agisse par elle. Donc il est superflu de lui ajouter une puissance pour agir.
10. Mais on objectera que la puissance n'est pas en réalité autre chose que l'essence ; mais seulement selon la manière de comprendre. Mais en sens contraire, toute pensée en qui rien ne correspond dans la réalité est vide et vaine
11. La catégorie de la substance est plus noble que les autres catégories. Mais on ne l'attribue pas à Dieu, comme le dit Augustin (De Trin. 7, 5). Donc on lui attribue encore moins la catégorie de la qualité. Mais la puissance est dans la seconde espèce de qualité. Donc on ne doit pas l'attribuer à Dieu.
12. Mais on objectera que la puissance, attribuée à Dieu n'est pas une qualité mais son essence qui diffère en raison seulement. En sens contraire, quelque chose répond à cette raison en réalité ou rien. Si c'est rien, la raison est vaine. Mais si quelque chose lui répond dans la réalité, il s'ensuit que quelque chose serait en Dieu une puissance en plus de l'essence, puisque la nature de la puissance est en plus de celle d'essence.
13. Selon Aristote (Top. 4, 5) tout pouvoir et toute activité est en vue de faire autre chose. Rien de ce genre ne convient à Dieu, parce qu'il n'est pas lui-même en vue d'une autre chose. Donc la puissance ne convient pas à Dieu.
14. Le pouvoir est considéré par Denys (La hiérarchie céleste, XI) comme intermédiaire entre la substance et l'opération, Mais Dieu n'agit pas par intermédiaire. Donc il n'agit pas par pouvoir ni en conséquence par puissance. Et ainsi il n'y a pas de puissance en Dieu.
15. Selon Aristote (Métaphysique IX, 2 et V, 17) la puissance active, la seule qui peut convenir à Dieu, est le principe d'un changement en autre chose en tant qu'autre. Mais Dieu agit sans changement, comme cela apparaît dans la création. Donc la puissance active ne peut pas lui être attribuée.
16. Aristote dit (ibid.) que la puissance active et la puissance passive sont une même chose. Mais cette dernière ne convient pas à Dieu. Ni en conséquence la puissance active.
17. Aristote dit (ibid.) que la privation est le contraire de la puissance active. Mais les contraires concernent un même genre. Donc, comme en Dieu il n'y a de privation en aucune manière, il n'y aura pas de puissance.
18. Le Maître des Sentences (II Sent., Dist. 1) dit qu'agir n'appartient pas à proprement à Dieu. Mais là où il n'y a pas d'action, il ne peut y avoir de puissance, ni active, ni passive, c'est évident. Donc pas de puissance en Dieu.
En sens contraire :
1) On lit dans le Ps. 88, 9 : "Tu es puissant, Seigneur et ta Vérité t'entoure."
2) Mt. 3, 9 : "Dieu a le pouvoir de faire naître de ces pierres des enfants à Abraham".
3) Toute opération procède d'une puissance. Mais il convient tout à fait à Dieu d'agir. Donc, la puissance lui convient tout à fait.
Réponse :
Pour mettre cette question en évidence, il faut savoir qu'on parle de puissance à partir de l'acte. Celui-ci est double : d'abord une forme et ensuite une opération. Et comme le constate le sens commun, le nom d'acte a d'abord été attribué à l'opération. En effet, c'est ainsi que presque tout le monde comprend l'acte, mais ensuite il fut transmis à la forme, dans la mesure où elle est le principe de l'opération et sa fin.
De la même manière, il y a deux sortes de puissances : l'une est active, à quoi correspond l'acte en tant qu'opération ; c'est à celle-ci d'abord que le nom de puissance paraît avoir été attribuée ; l'autre est la puissance passive à qui correspond l'acte premier qui est la forme, à qui de la même manière le nom de puissance paraît avoir été dévolu en second. De même que rien ne supporte sinon en raison de la puissance passive, de même rien n'agit qu'en raison de l'acte premier, qui est la forme. Car il a été dit que pour lui-même le nom d'acte lui vient en premier de l'action, mais il convient à Dieu d'être acte pur et premier : il lui convient donc éminemment d'agir et de diffuser sa ressemblance dans les autres et c'est pourquoi la puissance active lui convient éminemment ; car elle est appelée ainsi du fait qu'elle est le principe de l'action.
Mais il faut savoir que notre esprit essaye d'exprimer Dieu comme l'être le plus parfait. Et parce que, en ce cas, il ne peut recourir qu'à la ressemblance des effets et qu'il ne trouve dans les créatures rien de tout à fait parfait sans aucune imperfection, il essaye de le définir, à partir des diverses perfections qu'il découvre dans les créatures, bien qu'à chacune il manque quelque chose de ces perfections. Cependant cette imperfection qui leur est ajoutée est totalement absente en Dieu. Par exemple l'être désigne quelque chose de complet et de simple, mais de non subsistant ; la substance signifie quelque chose de subsistant mais assujetti à un autre.
Nous plaçons donc en Dieu la substance et l'être, mais la substance en raison de sa subsistance, non de sa dépendance, l'être en raison de la simplicité et du complément, non en raison de l'inhérence par laquelle il adhère à un autre. Et de même nous attribuons à Dieu l'opération en raison du complément ultime, non en raison de ce sur quoi l'opération passe. Nous attribuons la puissance du fait qu'elle persiste et qu'elle est son principe, non du fait qu'elle est complétée par l'opération.
Solutions :
1. La puissance est non seulement le principe de l'opération, mais aussi de l'effet ; il ne faut donc pas, si on admet en Dieu une puissance qui est le principe de l'effet, qu'elle soit un principe de l'essence divine, qui est l'opération. Ou pour mieux dire, on trouve en Dieu une double relation ; une première réelle, c'est-à-dire celle par laquelle on distingue les personnes entre elles, comme la paternité et la filiation ; autrement les personnes divines ne seraient pas distinguées réellement mais en raison, comme l'a dit Sabellius. L'autre, en raison seulement, qu'on signifie, quand on dit que l'opération divine vient de (ab) son essence ou que Dieu opère par (per) son essence. Car ces prépositions désignent en effet des relations. Et cela arrive, parce que, quand on attribue à Dieu une opération selon sa raison qui requiert un principe, on lui attribue la relation de ce qui existe par ce principe. C'est pourquoi, cette relation n'est qu'en raison seulement. Mais il est de la nature de l'opération d'avoir un principe, non de celle de l'essence ; donc, bien que l'essence divine n'ait pas de principe, ni en réalité, ni en raison, cependant l'opération divine a un principe en raison.
2. Bien qu'il faille attribuer tout ce qu'il y a de plus parfait à Dieu, il ne faut cependant pas que tout ce qui lui est attribué soit le plus parfait, mais il faut qu'il soit conforme à la désignation du plus parfait à quoi appartient en raison de sa perfection quelque chose qui a plus parfait que lui, à qui manque cette raison de perfection que l'autre possède.
3. La puissance est appelée principe, non pas parce qu'elle est la relation même que désigne le nom de principe, mais parce qu'elle est ce qu'est le principe.
4. L'habitus n'est jamais dans la puissance active, mais seulement dans la puissance passive et il est plus parfait qu'elle, mais on n'attribue pas une telle puissance à Dieu.
5. Il est impossible d'établir que Dieu agit par essence et qu'il n'y ait pas de puissance en Lui. Car le principe de son action, c'est sa puissance ; du fait qu'on établit que Dieu agit par son essence, on établit qu'elle est une puissance. Et ainsi la définition de la puissance en Dieu ne déroge ni à sa simplicité ni à sa prééminence, parce qu'on ne l'établit pas comme ajoutée à son essence.
6. Quand on dit que être et pouvoir ne diffèrent pas toujours, on le comprend de la puissance passive et ainsi, cela ne change rien au propos, puisqu'une telle puissance n'existe pas en Dieu. Cependant parce qu'il est vrai que la puissance active est en Dieu la même chose que son essence, il faut dire que bien que l'essence divine et sa puissance soient une même chose en réalité, cependant parce que la puissance ajoute surtout une manière de signifier, elle requiert un nom spécial, car les noms répondent à ce que l'esprit conçoit, selon Aristote.
7. Cet argument prouve que, en Dieu, il n'y a pas de puissance passive et cela nous l'admettons.
8. La puissance de Dieu est toujours jointe à son acte, c'est-à-dire à son opération (car son opération est l'essence divine), mais les effets en découlent selon le pouvoir de sa volonté et l'ordre de sa sagesse C'est pourquoi il ne faut pas qu'elle soit toujours jointe à l'effet ; ainsi les créatures n'auront pas existé éternellement.
9. L'essence de Dieu est suffisante pour qu'il agisse par elle et cependant la puissance n'est pas superflue, parce qu'elle est comprise comme une chose ajoutée à l'essence, mais elle surajoute selon l'esprit, une seule relation de principe, car l'essence elle-même, du fait qu'elle est le principe d'action, compte comme puissance.
10. Une chose répond à l'esprit dans la réalité de deux manières. D'abord immédiatement, quand par exemple, l'esprit conçoit la forme d'une chose qui existe hors de l'0/00me comme celle d'homme ou de pierre. D'une autre manière, indirectement, quand par exemple un concept découle de l'acte d'intellection et que l'esprit le considère, en réfléchissant sur lui-même. C'est pourquoi cela répond à cette considération de l'esprit indirectement, c'est-à-dire par le moyen de l'intellection de la chose : par exemple, l'esprit découvre la nature de l'animal dans l'homme, dans le cheval et dans beaucoup d'autres espèces. Il en découle que l'esprit les comprend comme genre. A cette conception par laquelle l'esprit comprend le genre, rien ne répond immédiatement dans l'objet extérieur qui soit le genre, mais à l'intelligence d'où découle cette intention répond une réalité. Et il en est de même de la relation de principe que la puissance ajoute à l'essence ; car quelque chose lui correspond dans la réalité indirectement et non immédiatement. Car notre esprit comprend la créature en relation et en dépendance avec le créateur et de ce fait, qu'il ne peut comprendre une chose en rapport à une autre, à moins au contraire qu'il comprenne la relation à l'inverse ; il comprend ainsi en Dieu une relation de principe qui accompagne le mode de compréhension et ainsi il se réfère à la chose indirectement.
11. La puissance, qui est dans la seconde espèce de qualité, n'est pas attribuée à Dieu car c'est celle des créatures qui agissent non pas immédiatement par leurs formes essentielles, mais par l'intermédiaire de leurs formes accidentelles. Mais Dieu agit par son essence sans intermédiaire.
12. Aux diverses notions des attributs correspond quelque chose en Dieu, c'est-à-dire l'un et le même. Parce que l'être qu'est Dieu est absolument simple, à cause de son incompréhensibilité, notre esprit est forcé de le représenter par des formes diverses et ainsi ces formes que l'esprit conçoit en Dieu sont en lui comme dans la cause de la vérité, dans la mesure où ce que Dieu est, est représentable par toutes ces formes ; elles sont cependant dans notre esprit comme dans un sujet.
13. Le philosophe comprend au sujet des puissances actives et pratiques etc., ce qui existe dans les réalisations artistiques et les affaires humaines, car dans les choses naturelles il n'est pas vrai que la puissance active soit toujours en vue de ses effets. Il est ridicule de dire en effet que la puissance du soleil est pour les vers qui sont engendrés par son pouvoir : la puissance divine est, encore bien moins, en vue de ses effets.
14. La puissance de Dieu n'est pas un intermédiaire, en réalité, parce qu'elle n'est distinguée de l'essence qu'en raison et c'est pour cela qu'elle est considérée comme intermédiaire. Mais Dieu n'agit pas par un intermédiaire différent réellement de lui-même. Donc l'argument ne vaut pas.
15. L'action est double. L'une, avec changement de la matière, l'autre ne présuppose pas de matière, comme on le voit dans la création et Dieu peut agir de chaque manière, comme cela apparaîtra plus loin. Donc il est juste de lui attribuer une puissance active, bien qu'il n'agisse pas toujours en opérant des changements.
16. Le Philosophe ne parle pas de manière universelle mais particulière, quand par exemple quelque chose se meut lui-même comme l'animal. Quand un être est mu par un autre, alors ce n'est pas la même puissance pour la passion et l'action.
17. On dit que la privation est contraire à la puissance, c'est-à-dire c'est l'impuissance : cependant on ne doit pas faire mention de contradiction en Dieu, parce que rien en lui n'a de contraire, puisqu'il n'est pas dans un genre.
18. Agir n'est absolument pas refusé à Dieu, mais par comparaison avec les choses naturelles qui agissent et subissent en même temps.
Article 2 : La puissance de Dieu est-elle infinie ?
Il semble que non.
Objections :
1. Comme il est dit au livre IX de la Métaphysique (texte 2), une puissance active serait sans raison dans la nature si une puissance passive ne lui correspondait pas. Mais à la puissance divine infinie ne correspond pas de puissance passive dans la nature. Donc une puissance divine infinie serait sans raison.
2. Aristote prouve (VIII Phys.) qu'il n'y a pas de puissance infinie de grandeur infinie, parce qu'il s'ensuivrait qu'elle n'agirait pas dans le temps. Car un plus grand pouvoir agit dans un temps plus court, donc plus le pouvoir est grand plus le temps est court. Mais il n'y a aucune proportion d'une puissance infinie à une puissance finie. Donc, ni du temps dans lequel agit la puissance infinie, avec le temps dans lequel agit une puissance finie. Mais d'un temps à un autre, il y a une proportion. Donc comme une puissance finie met en mouvement dans le temps, une puissance infinie mettra en mouvement hors du temps. Par la même raison, si la puissance de Dieu est infinie, il opérera toujours hors du temps, ce qui est faux.
3. Mais on objectera que la volonté divine ne détermine pas en combien de temps elle veut accomplir son effet ; et ainsi il ne faut pas que le puissance divine agisse toujours hors du temps. En sens contraire, la volonté de Dieu ne peut pas modifier sa puissance, mais il est de la définition d'une puissance infinie d'agir hors du temps. Donc cela ne peut pas être changé par la volonté divine.
4. Toute puissance se manifeste par son effet. Mais Dieu ne peut produire un effet infini. Donc la puissance de Dieu n'est pas infinie.
5. La puissance est proportionnée à l'opération. Mais celle de Dieu est simple. Donc sa puissance aussi. Mais le simple et l'infini s'opposent l'un à l'autre. Donc comme plus haut.
6. L'infini est ce qui supporte la quantité, comme le dit Aristote (I Phys), mais Dieu est sans quantité ni grandeur. Donc sa puissance ne peut être infinie.
7. Tout ce qui est distinct est fini. Mais la puissance de Dieu est distincte des autres choses. Donc elle est finie.
8. L'infini est défini par la privation d'une fin. Mais la fin est triple : c'est-à-dire celle de la grandeur, comme le point, de la perfection comme la forme, de l'intention comme la cause finale. Ces deux dernières, puisqu'elles concernent la perfection ne doivent pas être exclues de Dieu. Donc on ne peut dire que la puissance divine est infinie.
9. Si la puissance de Dieu est infinie, cela ne peut être que parce qu'elle a des effets infinis. Mais il y a beaucoup d'autres choses qui ont des effets infinis en puissance, comme l'intellect, qui peut comprendre ce qui est infini en puissance et le soleil qui peut produire des effets infinis. Donc, si on dit que la puissance de Dieu est infinie, à raison égale, beaucoup d'autre choses sont infinies, ce qui est impossible.
10. La fin a quelque rapport avec la noblesse. Mais tout ce qui est de ce genre doit être attribués à Dieu. Donc on doit dire que la puissance divine est finie.
11. L'infini selon Aristote (III Phys., texte 66) concerne la partie et la matière, qui sont imparfaites et ne conviennent pas à Dieu. Donc l'infini n'est pas dans la puissance divine.
12. Selon Aristote (I Phys.), le terme n'est ni fini, ni infini. Mais la puissance divine est le terme de tout. Donc elle n'est pas infinie.
13. Dieu agit par toute sa puissance. Si donc elle est infinie, son effet sera toujours infini ; ce qui était impossible.
En sens contraire :
1) Jean Damascène dit que l'infini est ce qui n'est terminé ni dans le temps, ni le lieu, ni la compréhension. Cela convient à la puissance divine. Donc la puissance divine est infinie.
2) Hilaire dit : "Dieu d'immense pouvoir, puissance vivante, qui jamais n'est absente ni jamais ne manque". Tout ce qui est immense est infini. Donc la puissance de Dieu est infinie.
Réponse :
On parle d'infini de deux manières. D'une manière privative et ainsi on dit infini ce qui est destiné à avoir une fin et n'en a pas ; on ne trouve un tel infini que dans les quantités. D'une autre manière, on parle d'infini de manière négative, c'est-à-dire ce qui n'a pas de fin. L'infini de la première manière ne peut convenir à Dieu, d'abord parce qu'il est hors de la quantité, d'autre part parce que toute privation désigne une imperfection, ce qui est loin de Dieu.
L'infini exprimé négativement convient à Dieu pour tout ce qui est en lui. Parce que lui-même n'est fini par rien, ni son essence, ni sa sagesse, ni sa puissance, ni sa bonté ; c'est pourquoi tout en lui est infini. Mais à propos de l'infinité de sa puissance il faut savoir spécialement que, puisque la puissance active suit l'acte, la quantité de puissance suit la quantité de l'acte ; car chacun est riche en pouvoir d'agir dans la mesure où il est en acte.
Dieu est acte infini, ce qui apparaît du fait que l'acte n'est fini que de deux manières : 1) du côté de l'agent ; ainsi la beauté de la maison reçoit de la volonté de l'artisan sa valeur et son terme. 2) du côté de celui qui reçoit ; ainsi la chaleur s'achève dans le bois et reçoit son intensité selon la disposition de celui-ci. Mais l'acte divin même n'est limité par aucun agent, parce qu'il ne dépend pas d'un autre mais de lui-même, et il n'est pas fini par celui qui le reçoit, parce que comme aucune puissance passive ne lui est mêlée, lui-même est un acte pur, non reçu dans quelque chose ; car Dieu est son être même, reçu en rien.
C'est pourquoi il est évident que Dieu est infini : ce qu'on peut montrer ainsi. En effet l'être de l'homme se termine à l'espèce humaine parce qu'elle est reçue dans la nature de l'espèce humaine ; et c'est pareil pour l'être cheval ou celui de n'importe quelle créature. Mais comme l'être de Dieu n'est reçu en rien, mais qu'il est sans mélange, il n'est pas limité à un mode de perfection d'être, mais il possède tout son être en lui ; et ainsi comme un être reçu dans l'universel peut s'étendre à l'infini, ainsi l'être divin est infini ; et de là apparaît que son pouvoir ou sa puissance active est infinie.
Mais il faut savoir que, quoique la puissance possède l'infinité par l'essence, cependant du fait qu'elle est comparée à ce dont elle est le principe, elle reçoit un mode d'infinité que l'essence ne possède pas. Car dans les objets de la puissance, on trouve la multitude ; mais dans l'action on trouve un accroissement selon l'efficacité de l'action et ainsi on peut attribuer à la puissance active une infinité selon la conformité à l'infini de quantité non divisée et séparée. Non divisée selon que la quantité de puissance est établie pour beaucoup ou peu d'objets ; et on l'appelle quantité extensive ; séparée, selon que la quantité de puissance est atteinte en ce qui agit doucement ou intensément et on l'appelle la quantité intensive. La première quantité convient à la puissance par rapport aux objets, la seconde par rapport à l'action. Car la puissance active est le principe des deux.
De chaque manière la puissance divine est infinie. Car jamais elle ne produit tant d'effets qu'elle ne puisse en produire davantage, et jamais elle n'opère de façon si intense qu'elle ne puisse opérer plus intensément. Mais on ne peut pas établir l'accroissement dans l'opération divine dans la mesure où l'opération est dans celui qui opère, parce qu'elle est toujours infinie, puisqu'elle est l'essence divine ; mais on doit l'établir selon son effet ; car ainsi certaines choses sont mues par Dieu plus efficacement, d'autres moins.
Solutions :
1. Rien de ce qui est en Dieu ne peut être dit sans raison, parce que est sans raison ce qui est en vue d'une fin qu'il ne peut atteindre. Mais Dieu ainsi que ce qui est en lui, n'est pas en vue d'une fin, mais est la fin. Ou il faut dire que le philosophe parle de puissance active naturelle. Car les choses naturelles sont coordonnées entre elles ainsi que toutes les créatures : Dieu est hors de cet ordre ; car lui-même est celui à quoi tout cet ordre est ordonné comme à un bien extrinsèque, comme l'armée est ordonnée au général, selon Aristote (XII Métaphysique, texte 52 et 53). Et c'est pourquoi il ne faut pas que quelque chose dans les créatures corresponde à ce qui est en Dieu.
2. Il faut dire que, pour le commentateur (VIII Phys. Com. 79), cette démonstration au sujet de la proportionnalité du temps et de la puissance du moteur, procède d'une puissance infinie en grandeur, proportionnée à un infini de temps, puisqu'ils sont déterminés dans un seul genre, à savoir la quantité non divisée, elle ne tient pas de l'infini en dehors de la grandeur, qui n'est pas proportionnée à un infini de temps, puisqu'elle existe pour une autre raison. Ou il faut dire, comme on l'a signalé dans l'objection, que parce qu'il agit volontairement, Dieu mesure le mouvement de ce qu'il meut, comme il le veut.
3. Quoique la volonté de Dieu ne puisse modifier sa puissance, il peut cependant déterminer son effet. Car elle met en mouvement la puissance.
4. Cette nature de l'objet ou de la créature répugne à l'infini. En effet, comme elle est faite de rien, elle a une imperfection : elle est en puissance et non acte pur ; et c'est pourquoi, on ne peut l'égaler au premier infini en tant qu'infini.
5. L'infini dit privatif qui est ce qui supporte la quantité, s'oppose à la simplicité mais pas l'infini défini négativement.
6. Cette raison procède de l'infini dit privatif.
7. Quelque chose peut être distinct de deux façons. 1) Par ce qui lui est ajouté, ainsi l'homme est distinct de l'âne par la différence de la raison et une telle distinction doit être finie parce que ce qui est ajouté le détermine à un état. 2) En lui-même. Ainsi Dieu est distinct de tout, et de ce fait il est impossible de rien lui ajouter ; c'est pourquoi il ne faut pas qu'il soit fini, ni lui-même ni rien de ce qui est signifié en lui.
8. Comme la fin concerne la perfection, elle est attribuée à Dieu par le mode le plus noble, à savoir qu'il est lui-même essentiellement la fin et non affirmé comme fini.
9. Dans les quantités, l'infini peut être considéré selon une dimension et non selon une autre, et à nouveau infini selon toute dimension ; il en est de même dans les effets. Car il est possible qu'une créature puisse produire des effets infinis quant à elle, sous un rapport par exemple selon le nombre dans la même espèce ; et ainsi la nature de tous ces effets est finie, en tant que déterminés à une seule espèce, comme si nous admettions des hommes ou des 0/00nes en nombre infini. Mais il n'est pas possible qu'une créature puisse avoir des effets infinis de toutes les manières, selon le nombre, l'espèce et le genre ; cela n'appartient qu'à Dieu seul et c'est pourquoi seule sa puissance est absolument infinie.
10. Comme la solution 8.
11. Cette raison procède de l'infini dit privatif.
12. De même.
13. Dieu agit toujours par toute sa puissance, mais son effet s'achève selon le pouvoir de sa volonté et l'ordre de la raison.
Article 3 : Ce qui est impossible à la nature est-il possible à Dieu ?
Il semble que non.
Objections :
1. Un glose, au sujet de Rm. 11,24 : ("Greffé contre nature"), dit que puisque Dieu est l'auteur de la nature, il ne peut pas agir contre elle. Mais ce qui est impossible à la nature est contre elle. Donc Dieu ne peut le faire.
2. Tout ce qui est nécessaire dans la nature est démontrable, de même tout ce qui est impossible dans la nature ne peut être prouvé par démonstration. Mais dans toute conclusion sont inclus les principes de la démonstration ; dans tous les principes de démonstration est inclus celui-ci : l'affirmation et la négation ne sont pas vraies en même temps. Donc ce principe est inclus dans tout ce qui est impossible dans la nature. Mais Dieu ne peut faire que la négation et l'affirmation soit vraies en même temps, comme l'objecteur le disait. Donc il ne peut rien faire d'impossible dans la nature.
3. Sous Dieu, il y a deux principes : la raison et la nature. Mais Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible en raison, par exemple que le genre ne soit pas défini à partir de l'espèce. Donc il ne peut pas faire de ce qui est impossible à la nature.
4. Le rapport du possible et de l'impossible vis-à-vis de l'opération est semblable à celui du vrai et du faux vis-à-vis de la connaissance. Mais Dieu ne peut pas connaître ce qui est faux dans la nature. Donc Dieu ne peut pas opérer sur ce qui est impossible dans la nature.
5. Quand c'est la même chose pour un objet et pour le tout, ce qu'on prouve pour l'un est compris comme prouvé pour tout. Ainsi si on prouve au sujet d'un triangle, après démonstration, qu'il a trois angles égaux à deux droits, on comprend que c'est prouvé pour tous les triangles. Mais la raison paraît la même pour tout ce qui est impossible, que Dieu le puisse ou pas ; tantôt du côté de celui qui agit, parce que la puissance divine est infinie, tantôt du côté de ce qui est fait, parce que toute chose a une puissance obédientielle à Dieu. Donc s'il y a quelque chose d'impossible dans la nature qu'il ne puisse faire, comme l'objecteur le disait, il semble qu'il ne puisse rien faire d'impossible.
6. En 2 Tm. 2,13, on lit : "Le Dieu fidèle qui ne peut se nier lui-même". Il se nierait lui-même, comme le dit la glose, s'il n'accomplissait pas ses promesses ; de même que la promesse vient de lui, toute vérité aussi, parce que, comme le dit la glose d'Ambroise (Ambrosiaster) au sujet de I Co. 12, 3 : "Personne ne peut dire, Seigneur Jésus", toute vérité dite par quelqu'un vient de l'Esprit Saint. Donc il ne peut agir contre une vérité. Il le ferait, s'il faisait quelque chose d'impossible. Donc Dieu ne peut faire quelque chose d'impossible dans la nature.
7. Anselme dit (Cur Deus homo, livre 1, ch. 20) que la plus petite inconvenance est impossible à Dieu. Mais l'inconvenant serait que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps, parce que l'esprit aurait été enchaîné. Donc Dieu ne peut pas le faire ; et ainsi il ne peut pas faire tout ce qui est impossible dans la nature.
8. Aucun artisan ne peut opérer contre son art ; parce que l'art est le principe de son opération. Mais Dieu agirait contre son art, s'il faisait quelque chose d'impossible dans la nature ; parce que l'ordre de la nature, selon lequel c'est impossible dépend de l'art divin. Donc Dieu"
9. Plus est impossible ce qui est impossible en soi que ce qui l'est par accident. Mais Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible par accident, par exemple que ce qui a existé ne l'ait pas été, comme le montre Jérôme (Lettre à Eustochium sur la sauvegarde de la virginité) qui dit qu'encore que Dieu puisse d'autres choses, il ne peut pas rendre vierge celle qui est déflorée ; Augustin (C. Faust.) et Aristote (V Éthique, ch. 5) le montrent aussi. Donc Dieu ne peut faire ce qui est impossible en soi dans la nature.
En sens contraire :
1. En Lc (1, 37) on lit : "Aucune parole ne sera impossible à Dieu."
2. Toute puissance qui peut faire ceci et non cela est une puissance limitée. Si donc Dieu peut faire ce qui est possible dans la nature et ne pas faire ce qui est impossible, ou cette impossible-ci et non celui-là, sa puissance semble limitée, ce qui est contre ce qui a été expliqué ci-dessus. Donc"
3. Tout ce qui n'est pas limité par ce qui existe réellement, ne peut être empêché par rien de réel. Mais Dieu n'est limité par rien de réel. Donc il ne peut être empêché par rien de ce qui existe réellement et ainsi la vérité de ce principe : "l'affirmation et la négation ne peuvent exister simultanément", ne peut empêcher que Dieu puisse agir. Et à raison égale pour toutes les autres choses.
4. Les privations ne reçoivent ni plus ni moins. Mais on parle d'impossible en raison de la privation de puissance. Si donc il y a une chose impossible que Dieu puisse faire, comme rendre la vue à un aveugle, à raison égale, il paraît qu'il peut tout faire.
5. Tout ce qui résiste à quelque chose, résiste en raison d'une opposition. Mais rien n'est opposé à la puissance divine, comme on le voit dans ce qui a été dit ci-dessus. Donc rien ne peut lui résister et ainsi il peut accomplir tout ce qui est impossible.
6. Comme la cécité est opposée à la vision, ainsi la virginité l'est à l'enfantement. Mais Dieu a fait qu'une vierge enfante, en demeurant vierge. Donc à raison égale il peut faire que l'aveugle, demeurant aveugle, voit et que l'affirmation et la négation sont vraies en même temps et par conséquence tout ce qui est impossible.
7. Il est plus difficile d'unir des formes substantielles séparées que des formes accidentelles. Mais Dieu a réuni en un être les formes substantielles les plus séparées, c'est-à-dire la forme divine et la forme humaine qui diffèrent en tant que créée et incréée. Donc il peut bien davantage unir deux formes accidentelles en une, pour faire qu'une même chose soit blanche et noire, et ainsi de même que plus haut.
8. Si on enlève à un être défini un élément de sa définition, il s'ensuit que les contraires sont ensemble ; ainsi que l'homme ne soit pas raisonnable. Mais la ligne droite est par définition terminée par deux points. Donc si on enlève cette définition de la ligne droite, il s'ensuit que deux contraires sont ensemble. Mais Dieu le fit quand il entra chez ses disciples, les portes fermées : car il y eut deux corps en même temps, et ainsi il découle que deux lignes se terminèrent à deux points seulement, et chacune à deux points. Donc Dieu peut faire que l'affirmation et la négation soit vraies en même temps et par conséquence il peut faire tout ce qui est impossible.
Réponse :
Selon le philosophe (V Métaphysique, texte 17) on parle de possible et d'impossible de trois manières. 1) Selon une puissance active ou passive ; ainsi on dit qu'il est possible à un homme de marcher selon son pouvoir de marche, mais voler lui est impossible. 2) Non selon une puissance mais en soi ; ainsi nous appelons possible ce qui n'a pas l'impossibilité d'être et nous appelons impossible ce qui nécessairement n'est pas. 3) On parle de possible selon la puissance mathématique qui est dans la géométrie, selon qu'on dit une ligne commensurable à une puissance, parce que son carré est commensurable. Mais laissant de côté ce possible, considérons les deux autres.
Donc il faut savoir que l'impossible défini sans aucune puissance, mais en soi, est défini en raison de l'incohérence des termes. Toute incohérence des termes vient d'une opposition : dans toute opposition est incluse l'affirmation et la négation, comme on le prouve (Métaphysique X, com. 15). Donc toute impossibilité telle implique que l'affirmation et la négation soient ensemble. Cela ne peut être attribué à aucune puissance active ; ce qui paraît ainsi : toute puissance active suit la réalité et l'entité de ce dont elle dépend.
Tout agent est destiné à faire du semblable à soi : donc toute action d'une puissance active se termine à l'être. Car même s'il devient quelquefois par action un non être, comme cela paraît dans la corruption, cependant cela n'existe que dans la mesure où l'être de l'un ne supporte pas celui de l'autre ; ainsi l'être du chaud ne supporte pas l'être du froid ; et c'est pourquoi la chaleur par but principal engendre le chaud, mais elle corrompt le froid : c'en est la conséquence. Le fait que l'affirmation et la négation soient ensemble, ne peut avoir raison d'être, ni même de non être parce que l'être enlève le non être et le non être enlève l'être : c'est pourquoi ni principalement ni par conséquence, il peut être le terme de l'action d'une puissance active.
Ce qu'on désigne comme impossible selon la puissance peut se présenter de deux manières : 1) A cause de la défaillance de sa puissance en soi, parce qu'il est clair qu'elle ne peut parvenir à cet effet, par exemple quand l'agent naturel ne peut opérer un changement dans une matière. 2) De façon extrinsèque ; quand la puissance est empêchée ou liée. Ainsi donc on dit qu'une chose devient impossible de trois manières : a) à cause de la défaillance de la puissance active, pour changer la matière ou pour quelque autre chose, b) à cause de quelque chose qui résiste ou empêche. c) parce que ce qui est dit impossible à faire ne peut pas être le terme de l'action.
Ce qui est impossible dans la nature de la première ou de la deuxième manière, Dieu peut le faire. Parce que, comme sa puissance est infinie, elle ne souffre de défaillance en rien et il n'y pas de matière qu'il ne puisse transformer à sa guise, car elle ne peut résister à sa puissance. Mais pour l'impossible de la troisième manière, Dieu ne peut pas le faire, puisqu'il est acte au plus haut point et être premier. C'est pourquoi son action ne peut s'achever qu'à l'être principalement, et conséquemment au non être. Et c'est pourquoi il ne peut faire que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps, ni rien dans ce en quoi cet impossible est inclus. Et on ne peut pas dire qu'il ne peut pas le faire à cause de la défaillance de sa puissance : mais à cause de la défaillance du possible parce que celui-ci a perdu sa raison de possible, c'est pour cela que certains ont dit que Dieu peut le faire, mais cela ne peut être fait.
Solutions :
1. On ne doit pas comprendre par la parole d'Augustin dans cette glose que Dieu ne peut agir autrement que la nature, puisque lui-même fréquemment agit contre son cours habituel ; mais parce que ce qu'il fait dans les choses, ce n'est pas contre leur nature mais c'est leur nature, du fait qu'il en est lui-même le créateur et l'ordonnateur de la nature. Car ainsi dans les choses naturelles, il semble que quand un corps inférieur est mis en mouvement par un corps supérieur, ce mouvement lui est naturel quoiqu'il ne paraisse pas convenir au mouvement qu'il possède naturellement de lui-même ; ainsi la mer est mise en mouvement selon le flux et le reflux par la lune, et ce mouvement lui est naturel, comme le dit le commentateur (III Cael. et mundi comm. 20), bien que le mouvement naturel de l'eau en lui-même soit d'être porté vers le bas et de cette manière toutes les créatures ont pour ainsi dire naturellement ce que Dieu a fait en elles. Et à cause de cela on distingue en elles une double puissance : l'une, naturelle pour les opérations ou les mouvements propres ; l'autre qui est dite d'obédience, pour ce qu'elles reçoivent de Dieu.
2. Tout ce qui est impossible implique que l'affirmation et la négation soient en même temps du fait que c'est impossible ; mais ce qui est impossible à cause de la défaillance de la puissance naturelle, ainsi que l'aveugle voit, ou quelque chose de ce genre, puisque cela n'est pas impossible en soi, n'implique pas un impossible de ce genre en soi, mais par comparaison à la puissance naturelle pour qui elles sont impossibles ; ainsi si nous disons que la nature peut rendre la vue à un aveugle, cela implique une prétention impossible parce que la puissance de nature se termine à une limite, au-delà il y a ce qui lui est attribué.
3. Ce qui est impossible pour la philosophie rationnelle ne dépend pas d'une puissance, mais de soi, parce que ce qui est dans la philosophie rationnelle n'est pas appliqué à la matière ou à des puissances naturelles.
4. Ce qui est faux dans la nature est faux absolument et c'est pourquoi ce n'est pas pareil
5. Il n'y a pas la même raison pour tout impossible ; parce que certaines choses sont impossibles en soi, certaines par rapport à une puissance comme on l'a dit ci-dessus. Et ce qui se comporte différemment vis-à-vis de la puissance divine, n'entrave pas son infinité ni l'obédience de la créature.
6. Dieu ne détruit pas ce qui est déjà vrai ; parce qu'il ne fait pas que ce qui a été vrai n'ait pas été ; mais il fait que quelque chose ne soit pas vrai, qui autrement serait vrai. Ainsi quand il ressuscite un mort, il fait que ce ne soit pas vrai qu'il soit mort, ce qui autrement serait vrai. Ou autrement, il faut dire que ce n'est pas pareil : parce que du fait que Dieu n'emplirait pas sa promesse, il s'ensuivrait qu'il n'est pas véridique ; mais du fait qu'il détruit son effet cela n'en découle pas, parce qu'il n'a pas prévu que son effet demeure toujours, comme de même, il a ordonné qu'il accomplirait sa promesse.
7. Il ne peut pas faire que l'affirmation et la négation soient ensemble, non parce que cela ne conviendrait pas, mais pour la raison déjà dite.
8. L'art de Dieu, non seulement s'étend à ce qui a été fait, mais à beaucoup d'autres choses. C'est pourquoi quand il change le cours de la nature dans un être, ce n'est pas pour cela qu'il le fait contre son art.
9. Que Socrate n'ait pas couru, s'il a couru, est défini comme impossible par accident : parce que le fait que Socrate coure ou ne coure pas, en ce qui le concerne, est contingent ; mais par implication au passé, ne pas avoir été devient impossible en soi. Et c'est pourquoi on dit qu'il est impossible par accident, comme s'il arrivait par autre chose. Ce qui arrive est impossible en soi, et implique une contradiction absolue ; car dire qu'il a été et n'a pas été est contradictoire ; il en découle qu'ainsi il fait que le passé n'a pas existé.
Réponses aux objections du Sed contra.
1. Cette parole concerne non seulement ce que la bouche profère, mais ce que l'esprit conçoit. Que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps ne peut être conçu par l'esprit, comme cela est prouvé en Métaphysique (IV, comm. 9) et par conséquent rien non plus qui inclut une telle contradiction. En effet, comme les opinions contraires appartiennent aux contraires, selon le philosophe, il s'ensuivrait que le même aurait des opinions contraires en même temps ; et ainsi ce n'est pas contre la parole de l'ange, si on dit que Dieu ne peut pas une parole impossible.
2. La puissance de Dieu ne peut être appelée un ordre impossible parce qu'elle a perdu sa raison de possible et c'est pourquoi on ne dit que sa puissance est limitée, bien qu'il ne puisse pas cela.
3. Le fait de dire que Dieu ne peut pas n'est pas de son libre arbitre, comme s'il était empêché, comme on l'a dit, mais parce que cela ne peut être le terme de l'action d'une puissance active.
4. La privation ne reçoit ni plus et moins en soi ; cependant elle peut les recevoir dans sa cause ; ainsi on juge plus aveugle celui qui a l'oeil arraché, que celui dont la vue est empêchée par une humeur qui l'entrave ; et de même on déclare plus impossible ce qui est en soi impossible, que ce qui est simplement impossible.
5. Comme on l'a déjà dit (dans le corps de l'article), on ne dit pas que Dieu ne peut cela parce qu'il est empêché, mais pour les raisons déjà dites.
6. La virginité n'est pas opposée à l'enfantement, comme la cécité à la vue ; mais elle est opposée à l'accouplement viril sans laquelle la nature ne peut produire un enfantement, mais Dieu le peut.
7. Ces opposés, créé et incréé, ne furent pas dans le Christ selon le même ordre, mais selon des natures différentes. Donc il n'en découle que Dieu peut faire que des opposés soient dans le même selon le même.
8. Quand le Christ entra les portes closes, et que deux corps furent ensemble, ce n'est pas contre les principes de la géométrie. Car aux deux points des corps différents d'un seul côté, ce n'est pas une ligne qui se termine mais deux. Car quoique on ne puisse distinguer deux lignes mathématiques que, selon le lieu, de sorte qu'on ne peut pas comprendre que deux telles lignes soient ensemble, cependant deux lignes naturelles sont distinguées dans le sujet, de sorte qu'ayant défini que deux corps sont ensemble, il découle que deux lignes, deux points et deux surfaces sont ensemble.
Article 4 : Faut-il juger le possible et l'impossible selon les causes inférieures ou supérieures ?
Il semble que ce soit selon les causes supérieures.
Objections :
1) Comme le dit la glose (interlinéaire) à propos de 1 Co. 1, 20 : La sottise des sages du monde fut qu'il jugèrent du possible et de l'impossible selon ce qu'ils voyaient dans la nature. Donc on ne doit pas en juger selon les causes inférieures mais selon les causes supérieures.
2) Selon Aristote (Métaphysique X, texte comm. 1) ce qui est premier en tout genre est la mesure de tout ce qui appartient à ce genre. Mais la puissance divine est la première puissance. Donc c'est selon elle qu'on doit juger du possible et de l'impossible.
3) Plus une cause a d'influence sur l'effet, plus c'est sur elle qu'on doit baser son jugement. Mais la cause première influe plus sur l'effet que la cause seconde. Donc c'est plus sur la cause première qu'on doit juger de l'effet. Donc les effets doivent être jugés possibles ou impossibles selon les causes supérieures.
4) Rendre la vue à un aveugle est impossible par les causes inférieures et cependant cela est possible puisque quelquefois cela arrive. Donc il ne faut pas juger si quelque chose est impossible selon les causes inférieures mais selon les causes supérieures.
5) Le monde a dû être possible avant d'exister. Mais il ne fut pas possible selon les causes inférieures. Donc de même que plus haut.
En sens contraire :
1. L'effet doit être jugé possible selon la cause dont il reçoit la possibilité. Mais l'effet reçoit sa possibilité, sa contingence ou même sa nécessité de la cause la plus proche, mais non d'une cause éloignée ; ainsi le mérite reçoit sa contingence du libre arbitre qui est la cause la plus proche ; mais il ne reçoit pas la nécessité de la prédestination divine qui est sa cause éloignée. Donc c'est selon les causes inférieures, qui sont les plus proches qu'on doit juger du possible ou de l'impossible.
2. Ce qui est possible selon les causes inférieures est aussi possible selon les cause supérieures, et ainsi c'est possible de toute manière. Mais ce qui est possible de toue manière est possible absolument. Donc il faut absolument juger du possible selon les cause inférieures.
3. Les cause supérieures sont nécessaires. Donc si les effets devaient être jugés selon elles, tous les effets seraient nécessaires, ce qui est impossible.
4. Tout est possible à Dieu. Si donc on juge selon lui du possible ou de l'impossible, il n'y a absolument rien d'impossible ; ce qui ne convient pas.
5. Il faut utiliser des noms que la plupart des hommes emploient. Mais les hommes parlent de la puissance de cette manière, parce que la puissance, la disposition, la nécessité et l'acte sont ainsi ordonnés. Cela on les trouve dans les causes inférieures et non dans les causes supérieures. Donc il ne faut pas juger de la possibilité des choses selon les causes supérieures, mais selon les causes inférieures.
Réponse :
On peut juger du possible et de l'impossible de deux manières : d'abord du côté de ceux qui jugent, d'autre part de côté de ce qui est jugé. Pour le premier, il faut savoir que s'il y a deux sciences, dont l'une considère les causes les plus hautes, et l'autre les moins hautes, le jugement en l'un et l'autre n'est pas pris de la même manière mais selon les causes que chacune considère, comme cela apparaît chez le médecin et l'astronome ; ce dernier considère les causes suprêmes, mais le médecin les cause les plus proches. Donc le médecin donnera son jugement sur la santé ou la mort du malade selon les causes les plus proches, c'est-à-dire le pouvoir de la nature et celui de la maladie ; l'astronome jugera selon les cause éloignées, c'est-à-dire selon la position des astres.
Il en est de même pour notre sujet. Car la sagesse est double : c'est-à-dire celle du monde, qu'on appelle philosophie qui considère les causes inférieures, c'est-à-dire les causes causées, et juge selon elles ; et (la sagesse) divine qu'on appelle théologie qui considère les causes supérieures, c'est-à-dire divines, selon lesquelles elle juge. On appelle causes supérieures les attributs divins, comme la sagesse, la bonté, et la volonté , etc..
Cependant il faut savoir qu'on agite en vain cette question pour les effets qui ne peuvent exister que par des causes supérieures, c'est-à-dire que Dieu seul peut causer ; car il ne convient pas de les appeler possibles ou impossibles selon les causes inférieures. Mais on agite cette question pour ces effets qui viennent des causes inférieures ; car ces effets viennent des causes inférieures et des supérieures ; ainsi, en effet, elles peuvent être mises en doute. De même cette question n'a pas place dans le possible ou l'impossible, s'ils ne sont pas désignés selon une puissance mais en soi. Mais les effets des causes secondes, dont il est question, selon le jugement du théologien, sont appelées possibles et impossibles selon les causes supérieures ; mais selon le jugement du Philosophe, elles sont définies comme possibles ou impossibles selon les causes inférieures.
Mais si on considère ce jugement quant à la nature de ce par quoi on le juge, il apparaît ainsi que les effets doivent être jugés possibles selon les causes les plus proches, puisque l'action des causes éloignées est déterminée par les causes les plus proches qui imitent principalement les effets et c'est pourquoi c'est selon elles qu'on tire principalement le jugement sur les effets. Et il apparaît que c'est la même chose pour la puissance passive. Car on ne dit pas que la matière à proprement parler, est en puissance à quelque chose, si elle en est éloignée comme l'argile pour un vase, mais si elle en est proche, pouvant par un seul moteur sortir en acte, comme cela paraît chez Aristote (Métaphysique IX, com. 1 et 12). Ainsi l'or est en puissance pour une coupe par le seul art qui la conduit à acte. Et de même les effets autant qu'il est de leur nature ne sont donnés comme possibles ou impossibles que par les causes proches.
Solutions :
1. Les sages de ce monde sont appelés sots parce qu'ils jugeaient simplement et absolument impossible même pour Dieu ce qui était impossible selon les causes inférieures.
2. La comparaison du possible à une puissance n'est pas comme celle du mesurée à la mesure, mais comme celle de l'objet à la puissance. Cependant il arrive que la puissance divine soit la mesure de toutes les puissances.
3. Bien que la cause première soit celle qui influe le plus sur l'effet, cependant son influence est déterminée et spécifiée par la cause la plus proche ; et c'est pourquoi l'effet lui ressemble.
4. Quoique rendre la vue à l'aveugle soit possible à Dieu, cela ne peut être considéré comme tout à fait possible.
5. Le monde à venir fut possible en rapport avec les causes supérieures : c'est pourquoi cela ne concerne pas la présente question. Et c'est pourquoi cette parole : "le monde à venir" est possible non seulement selon la puissance divine active, mais en soi, parce que les termes ne sont pas incohérents.
Réponses aux arguments contraires.
1. Cette raison procède de la nature de l'effet que l'on juge.
2. Bien que ce qui est possible, selon les causes inférieures soit aussi possible selon les causes supérieures, cependant il n'en est pas de même pour l'impossible, bien au contraire. C'est pourquoi il n'en découle pas que le jugement doit être pris comme universel ou universellement selon les causes inférieures au sujet du possible et de l'impossible.
3. Le possible et l'impossible ne sont pas jugés selon les causes, parce qu'ils leur sont semblables en possibilité et impossibilité, mais parce qu'ils sont possibles ou impossibles pour ces causes.
4. Selon la considération du théologien, tout ce qui n'est pas en soi impossible est appelé possible, selon ce mot de Mc (9, 22) : "Tout est possible à celui qui croit" et "Aucune parole n'est impossible à Dieu" (Lc 1, 37).
5. Bien qu'on ne trouve pas tout cela dans les causes supérieures, cependant cela est soumis à des causes supérieures et c'est pourquoi cette objection procède de la puissance passive et non de la puissance active dont nous parlons maintenant.
Article 5 : Dieu peut-il faire ce qu'il ne fait pas et défaire ce qu'il fait ?
Objections :
Il semble que non.
1) Dieu ne peut faire que ce qu'il prévoit de faire. Mais il ne prévoit de faire que ce qu'il fait. Donc Dieu ne peut faire que ce qu'il fait.
2) Mais l'objecteur dit que cette raison procède de la puissance en rapport avec la prescience, non pour la puissance absolue. En sens contraire, ce qui est divin est plus immuable que ce qui est humain. Pour nous ce qui a été ne peut pas ne pas avoir été. Donc encore moins ce que Dieu a prévu, il ne peut pas ne pas l'avoir prévu. Mais si la prescience demeure, il ne peut faire autre chose. Donc Dieu, absolument parlant, ne peut faire autre chose que ce qu'il fait.
3) La nature de Dieu est immuable, de même sa sagesse. Mais ceux qui pensaient que Dieu agissait par nécessité de nature affirmaient qu'il ne peut faire autre chose que ce qu'il a fait. Donc, de la même façon, nous devons aussi l'affirmer, nous qui disons que Dieu agit selon l'ordre de sa sagesse.
4) Mais l'objecteur dira que cette raison procède de la puissance ordonnée par la sagesse, non de la puissance absolue. En sens contraire, on dit que ce qui ne peut être fait selon l'ordre de la sagesse est absolument impossible pour le Christ en tant qu'homme, quoiqu'il l'aurait pu en puissance absolue. Car il est dit en Jn (8, 55) : "Si je vous avais dit que je ne le connais pas, j'aurais été menteur, comme vous". Car le Christ pouvait prononcer ces paroles, mais parce que c'était contre l'ordre de la sagesse, on dit de façon absolue que le Christ n'a pas pu mentir. Donc beaucoup plus Dieu, absolument parlant, ne peut pas ce qui n'est pas selon l'ordre de la sagesse.
5) En Dieu, deux choses contradictoires ne peuvent être ensemble. Mais l'absolu et ce qui est soumis à une règle impliquent contradiction, car l'absolu est ce qui est considéré en soi, mais ce qui est soumis à une règle, est ordonné à un autre objet. Donc en Dieu on ne doit pas établir qu'il y a une puissance absolue et soumise à une règle.
6) La puissance et la sagesse de Dieu sont égales. Donc l'une n'excède pas l'autre ; donc la puissance ne peut exister sans la sagesse et ainsi la puissance divine est toujours soumise à une sagesse ordonnée.
7) Ce que Dieu a fait est juste. Mais il ne peut faire que ce qui est juste. Donc il ne peut faire que ce qu'il a fait ou fera.
8) Le propre de la bonté divine est non seulement de se communiquer mais de le faire avec un ordre extrême. Ainsi donc ce qui est fait par Dieu est fait avec ordre. Mais il ne peut pas le faire en dehors de l'ordre. Donc il ne peut faire autre chose que ce qu'il a fait.
9) Dieu ne peut faire que ce qu'il veut, parce que pour ceux qui agissent par volonté, la puissance suit la volonté, en tant qu'elle gouverne. Mais il ne veut que ce qu'il fait. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait.
10) Puisque Dieu est un créateur suprêmement sage, il ne fait rien sans raison. Les raisons selon lesquelles Dieu agit, Denys (Les noms divins, 5) dit qu'elles sont productives d'êtres ; mais ceux-ci sont ce qu'ils sont, et ainsi Dieu n'a de raison que pour ceux qui existent. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait.
11) Selon les philosophes, les choses naturelles sont dans le premier moteur qui est Dieu, comme les oeuvres dans l'artisan et ainsi Dieu opère comme un artisan. Mais l'artisan n'opère pas sans forme ni idée de son oeuvre ; car la maison qui est dans la matière vient de la maison qui est dans l'esprit de l'artisan, selon le philosophe (La génération des animaux, ch. 2, 1). Mais Dieu n'a d'idées que de ce qu'il a fait, de ce qu'il fait ou fera. Donc, en dehors de cela, Dieu ne peut rien faire.
12) Augustin dans Le symbole, dit : "Dieu ne peut pas que ce qu'il ne veut pas". Mais il ne veut que ce qu'il a fait. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait.
13) Dieu ne peut subir de changement. Donc il n'a affaire à aucun des deux contraires ; et ainsi sa puissance est limitée à un seul objet. Donc il ne peut faire que ce qu'il fait.
14) Tout ce que Dieu fait ou défait , il le fait ou le défait pour la meilleure raison. Mais Dieu ne peut le faire ou le défaire sans la meilleure raison. Donc il ne peut faire ni défaire que ce qu'il fait ou défait.
15) Le meilleur attire le meilleur selon Platon et ainsi comme Dieu est le meilleur, il fait le meilleur. Mais comme le meilleur est un superlatif, il n'existe que d'une manière. Donc Dieu ne peut faire d'une autre manière ou d'autre choses que ce qu'il a fait.
Par contre :
1) Il y a ce que Christ, Dieu et homme, dit : (Mt. 26, 53) : "Ne puis-je prier mon Père ?" Donc le Christ pouvait faire ce qu'il ne faisait pas.
2) En Ep. 3, 20, il est dit : "A lui qui peut tout faire au-delà de ce que nous pensons et demandons". Cependant il ne fait pas tout. Donc il peut faire d'autres choses que ce qu'il fait.
3) La puissance de Dieu est infinie. Mais cela ne serait pas si elle était déterminée seulement à ce qu'il fait : donc il peut faire autre chose que ce qu'il fait.
4) Hugues de Saint Victor dit que l'oeuvre de Dieu n'égale pas sa toute-puissance. Donc sa puissance excède son oeuvre et ainsi il peut faire plus que ce qu'il fait.
5) La puissance de Dieu est un acte non fini, parce qu'il n'est limité par rien. Cela ne serait pas, s'il se limitait à ce qu'il fait. Donc pareil que ci-dessus.
Réponse :
Cette erreur, que Dieu ne peut faire que ce qu'il fait, vient de deux opinions :
1) D'abord celle de certains philosophes qui disaient que Dieu agit par nécessité de nature. Si c'était cela, puisque sa nature serait limitée à un seul objet, la puissance divine ne pourrait parvenir à faire d'autres choses, que ce qu'il fait.
2) Ensuite, celle de quelques théologiens qui, considérant l'ordre de la justice et de la sagesse divines selon lequel les choses sont faites par Dieu, disaient qu'il ne pouvait passer outre, et ils en arrivaient à dire qu'il ne peut faire que ce qu'il fait. Et c'est l'erreur du maître Pierre Abélard.
A) Cherchons donc la vérité ou la fausseté de ces positions et d'abord de la première. Il est aisé de voir que Dieu n'agit pas par nécessité de nature. Car tout agent agit en vue d'une fin, parce que toutes choses souhaitent le bien. L'action de l'agent du fait qu'elle s'accorde à une fin, doit lui être adaptée et proportionnée, ce qui ne peut être fait que par un intellect qui connaît la fin, la raison et la proportion à ce qui est en vue de cette fin ; autrement la conformité de l'action à sa fin serait fortuite. Mais l'intellect qui préordonne à une fin, quelquefois est joint à l'agent ou au moteur, comme l'homme dans son action ; quelquefois il en est séparé comme cela apparaît dans la flèche qui tend vers un but déterminé, non par l'intellect qui lui est adjoint, mais par celui de l'homme qui la dirige. Il est impossible que ce qui agit par nécessité de nature, détermine pour lui-même une fin, parce que ce qui est tel, est agent en soi, et ce qui est agent ou mu par lui-même, agit ou pas, se meut ou pas, comme on le dit en Physique (8), et cela ne peut convenir à ce qui est mu par nécessité, puisqu'il est déterminé à un seul objet.
C'est pourquoi il faut que pour tout ce qui agit par nécessité de nature, la fin soit déterminée par quelqu'un pourvu d'intelligence. Pour cette raison, les philosophes disent que l'_uvre de la nature est l'_uvre d'une intelligence. C'est pourquoi, si quelquefois un corps naturel est ajouté à une intelligence comme on le voit dans l'homme, pour ces action pour lesquelles son esprit détermine une fin, la nature obéit à la volonté, comme cela apparaît dans ses déplacements : mais pour ces actions pour lesquelles il ne détermine pas de fin, elle n'obéit pas, comme pour la nourriture ou la croissance. Donc on conclut de ce que la nature agit par nécessité, qu'il est impossible que l'agent soit le principe puisqu'il est déterminé à sa fin par un autre. Il apparaît donc qu'il est impossible que Dieu agisse par nécessité de nature ; ainsi le fondement de la première proposition est fausse.
B) Il reste à poursuivre la recherche sur la seconde position. A son sujet, il faut savoir qu'on dit de deux manières que quelqu'un ne peut pas faire quelque chose :
1) L'une, de manière absolue, quand par exemple un des principes, qui serait nécessaire à l'action, ne s'étend pas jusqu'à elle ; ainsi avec un pied cassé, l'homme ne peut pas marcher.
2) L'autre vient d'une hypothèse, car si on établit une opposition à une action celle-ci ne peut être accomplie : car je ne peux marcher tant que je suis assis. Comme Dieu agit par volonté et intelligence, comme on l'a prouvé, il faut considérer en lui trois principes d'action ; l'intellect, la volonté, et la puissance de sa nature. Donc l'intellect dirige la volonté, mais la volonté commande à la puissance qui l'exécute. Mais l'intellect ne met en mouvement que dans la mesure où il propose à la volonté ce qui est désirable pour elle ; donc mouvoir tout l'intellect est dans la volonté.
Mais on dit de deux manières que Dieu ne peut absolument pas quelque chose :
1) Quand sa puissance ne s'étend pas jusqu'à l'objet ; ainsi nous disons qu'il ne peut pas faire que l'affirmation et la négation soit vraies en même temps, comme cela apparaît de ce qu'on a dit plus haut. Mais ainsi on ne peut pas dire que Dieu ne peut faire que ce qu'il fait ; car il est clair que sa puissance peut s'étendre à beaucoup d'autres choses.
2) Quand la volonté de Dieu ne peut pas s'étendre à cet objet. Car il faut que la volonté ait une fin qu'elle veut naturellement, et qu'elle ne puisse vouloir le contraire ; ainsi l'homme naturellement et par nécessité veut la béatitude et il ne peut vouloir le malheur. Mais comme la volonté veut nécessairement sa fin naturelle, elle veut aussi par nécessité ce sans quoi elle ne peut obtenir cette fin, si elle la connaît ; et c'est ce qui est proportionnée à la fin ; ainsi si je veux la vie, je veux la nourriture. Mais ce sans quoi on peut obtenir la fin, qui n'est pas proportionné à la fin, elle ne le veut pas par nécessité.
Donc la fin naturelle de la volonté de Dieu est sa bonté, qu'il ne peut pas ne pas vouloir. Mais les créatures ne sont pas proportionnées à cette fin, de sorte que sans elles la bonté divine ne pourrait se manifester, parce que Dieu n'y tend pas à partir de ses créatures. Car, de la même manière que la bonté divine est manifestée par ce qui est maintenant et par cet ordre des choses, ainsi elle peut être manifestée par des créatures autres et ordonnées d'une autre manière ; et c'est pourquoi la volonté divine, sans préjudice de sa bonté, de sa justice et de sa sagesse, peut s'étendre à d'autres choses que ce qu'elle fait. Et c'est en cela que ceux qui sont dans l'erreur ont été trompés : car ils ont pensé que l'ordre des créatures était commensurable à la bonté divine comme si sans lui il ne pouvait pas exister.
Il est donc clair que Dieu peut absolument faire d'autres choses que ce qu'il fait. Mais parce qu'il ne peut pas faire que les contradictions soient vraies en même temps, on peut dire par hypothèse que Dieu ne peut pas faire autre chose que ce qu'il a fait : car supposé que lui-même ne veuille pas faire autre chose ou qu'il a prévu qu'il ne ferait rien d'autre, il ne peut faire autre chose, comme on le comprend dans l'ordre (des choses) et non séparément.
Solutions :
1. Cette locution : Dieu ne peut faire que ce qu'il prévoit de faire a deux sens. La restriction peut porter sur la puissance désignée par potest (peut), ou sur l'acte désigné par facere (faire). Selon le premier sens la locution est fausse. Car il peut faire plus qu'il ne prévoit de faire ; et c'est en ce sens que l'objection était avancée. Selon l'autre sens, la locution est vraie, et le sens est qu'il ne se peut pas que quelque chose soit fait par Dieu sans qu'il l'ait prévu. Mais ce sens ne convient pas au sujet.
2. En Dieu, il n'y a ni passé ni futur, mais ce qui est en lui est tout entier dans un présent d'éternité. Le mot de passé et de futur n'a de sens en lui que par rapport à nous. C'est pourquoi l'objection sur la nécessité du passé n'a pas d'objet ici. Cependant il faut dire que l'objection est hors sujet : parce que la prescience n'est pas proportionnée à la puissance de faire dont il est question ; mais seulement à l'action divine, comme on l'a dit.
3. Ceux qui disaient que Dieu agit par nécessité de nature, prenaient la position dont il s'agit, non seulement en raison de l'immutabilité de sa nature, mais de la détermination de celle-ci à un seul objet. Mais la sagesse de Dieu n'est pas déterminée à un seul objet mais s'adresse à de nombreuses choses à connaître. Donc ce n'est pas pareil.
4. Le Christ ne pouvait vouloir dire de façon absolue ces paroles, qui sont un mensonge, sans préjudice pour sa bonté. Mais ce n'est pas notre sujet comme on le voit par ce qui a été dit, et c'est pourquoi cela ne vaut pas.
5. L'absolu et ce qui est soumis à une règle ne sont attribués de façon absolue à la puissance divine que par notre réflexion. A cette puissance de Dieu, considérée en soi, qu'on appelle absolue, il attribue quelque chose qu'on ne lui attribue pas selon qu'elle est comparée à sa sagesse, dans la mesure où on la dit ordonnée.
6. La puissance de Dieu n'est jamais en réalité sans sagesse ; mais c'est nous qui l'a considérons sans rapport avec la sagesse.
7. Dieu a fait ce qui est juste en acte, mais non tout ce qui l'est pas en puissance ; car il peut faire une chose qui maintenant n'est pas juste, parce qu'elle n'existe pas : cependant si elle existait, il la ferait juste.
8. La divine bonté peut se communiquer avec ordre, non seulement de cette manière dont elle opère, mais de nombreuses autres manières.
9. Bien que Dieu ne veuille faire que ce qu'il fait, il peut cependant vouloir d'autres choses, et c'est pourquoi, absolument parlant, il peut en faire d'autres.
10. Denys comprend que ces raisons dont il parle sont productives d'êtres absolument, mais pas seulement de ceux qui sont en acte maintenant .
11. Dans cette question, on cherche à savoir s'il y a un idée de ce qui n'est pas, ne sera pas et n'a pas été, et que cependant Dieu peut faire. Il semble qu'il faut dire que, si on conçoit l'idée, selon sa pleine raison, c'est-à-dire selon que l'idée nomme une forme de l'art, non seulement pensée dans l'intellect, mais aussi ordonnée à l'_uvre par la volonté, ce dont on parle n'a pas d'idée, mais si on le prend selon une raison imparfaite dans la mesure où elle est seulement pensée dans l'intellect de l'artisan, ainsi ce dont on parle a une idée. Car on voit dans l'artisan créé qu'il invente des opérations qu'il n'a jamais l'intention de faire. Mais ce que Dieu connaît lui-même en lui est par mode d'invention ; puisqu'il n'y a pas en lui de différence entre le connaître en acte et en habitus. Car il connaît lui-même toute sa puissance, et ce qu'il peut. C'est pourquoi il possède les raisons de tout ce qu'il peut, comme inventées.
12. Il faut comprendre que Dieu ne peut pas ce qu'il ne veut pas pouvoir et c'est à dessein qu'il ne le fait pas.
13. Bien que Dieu soit immuable, cependant sa volonté n'est pas déterminée à un seul objet parmi ce qu'il doit faire et c'est pourquoi il a le libre arbitre.
14. La meilleure raison, par laquelle Dieu fait tout, c'est sa bonté et sa sagesse, qui demeureraient même s'il faisait d'autres choses ou d'une autre manière.
15. Ce que Dieu fait est le meilleur par rapport à sa bonté et c'est pourquoi toute autre chose qui peut être ordonnée à sa bonté selon l'ordre de sa sagesse est le meilleur.
Article 6 : Dieu peut-il faire ce qui est possible à d'autres, comme pêcher, marcher etc. ?
Il semble que oui.
Objections :
1) Parce qu'Augustin (Enchiridium, 105) dit que meilleure est la nature qui peut pécher que celle qui ne le peut pas. Mais le meilleur doit être attribué à Dieu. Donc il peut pécher.
2) Tout ce qui est louable ne doit pas être retiré à Dieu. Mais à la louange de l'homme, l'Ecclésiaste (Si 31,10) dit : "Qui peut pécher et n'a pas péché"" Donc le pouvoir de pécher et ne pas pécher doit être attribué à Dieu.
3) Le philosophe dit (Topique IV, 5) : "Dieu peut et avec zèle accomplir des perversions". Donc Dieu peut pécher.
4) Qui consent à un péché mortel, pèche mortellement, Mais qui ordonne un péché mortel, consent, bien plus, d'une certaine manière c'est lui qui le fait principalement. Donc comme Dieu a ordonné un péché mortel à Abraham, à savoir de tuer son fils innocent ; à Osée (1, 2), de prendre pour épouse une prostituée et d'avoir d'elle des enfants de prostitution et à Shimeï de maudire David (II Sam. 16,7), lequel est reconnu avoir péché vu le châtiment qui lui fut infligé (I Rois 2, 36), il semble que Dieu a lui-même péché mortellement.
5) Qui coopère avec qui pèche mortellement, pèche mortellement lui aussi. Mais Dieu coopère avec qui pèche mortellement car lui-même agit dans toute opération et par conséquent dans tout homme qui pèche mortellement. Donc Dieu pèche.
6) Augustin dit (De la grâce et du libre arbitre, ch. 21) comme on le voit dans la glose, (Rm 1) que Dieu opère dans le c_ur des hommes, en inclinant leur volonté en tout ce qu'il veut, soit en bien, soit en mal. Mais incliner la volonté de l'homme au mal est un péché. Donc Dieu pèche.
7) L'homme a été créé à l'image de Dieu (Gn 1, 26). Mais ce qu'on trouve dans l'image, on doit le trouver dans le modèle. Mais la volonté de l'homme est d'un côté et de l'autre. Donc la volonté de Dieu aussi. Et ainsi il peut pécher et ne pas pécher.
8) Ce qu'un pouvoir inférieur peut, un pouvoir supérieur le peut aussi. Mais l'homme dont le pouvoir est inférieur au pouvoir divin peut marcher, pécher et accomplir d'autres actes de ce genre. Donc Dieu aussi.
9) Quelqu'un commet une négligence, quand il ne fait pas le bien qu'il peut. Mais Dieu peut faire beaucoup de bien qu'il ne fait pas. Donc, il commet une négligence et ainsi il pèche.
10) Qui peut empêcher le péché et ne le fait pas, paraît pécher. Mais Dieu peut empêcher tous les péchés. Donc comme il ne le fait pas, il semble qu'il pèche
11) On lit dans Amos (3, 6) : "Il n'y a pas de mal dans la cité que Dieu ne fasse." Mais cela ne peut pas être compris du mal du châtiment. Car il est dit (Sg 1,13) que "Dieu n'a pas fait la mort". Donc il faut le comprendre du mal de la faute et ainsi Dieu est l'auteur de ce mal.
En sens contraire :
1) On lit (en I Jn 1, 5) que "Dieu est lumière et il n'y a pas de ténèbres en lui". Mais les péchés sont des ténèbres spirituelles. Donc le péché ne peut pas exister en Dieu.
2) Le prince n'est pas assujetti à ses propres lois. Mais tout péché est contre la loi divine, comme Augustin le dit (C. Faust. 22, 27). Donc Dieu ne peut être assujetti au péché.
Réponse :
Comme on l'a indiqué ci-dessus, on dit que Dieu ne peut absolument pas une chose, et cela de deux manières : 1) du côté de sa volonté, 2) du côté de sa puissance. Du côté de la volonté : Dieu ne peut pas faire ce qu'il ne peut pas vouloir. Comme aucune volonté ne peut vouloir le contraire de ce qu'elle veut naturellement, ainsi la volonté de l'homme ne peut vouloir le malheur, il est clair que la volonté divine ne peut vouloir le contraire de sa bonté qu'il veut naturellement. Mais le péché est une défaillance de la divine bonté ; c'est pourquoi Dieu ne peut pas vouloir pécher. Et c'est pourquoi il faut absolument concéder que Dieu ne peut pas pécher.
Du côté de la puissance, on dit que Dieu ne peut pas une chose de deux manières : 1) en raison de la puissance elle-même ; 2) en raison de la possibilité.
1) Comme sa puissance quant à elle, est infinie, on ne la trouve défaillante en rien qui la concerne. Mais il y a des choses qui sous le nom de puissance apportent ce qui en réalité sont des défaillances de la puissance. Ainsi il y a de nombreuses négations incluses dans les affirmations ; comme quand on dit 'pouvoir défaillir', il paraît selon la manière de parler qu'on apporte une puissance, alors que c'est plutôt sa défaillance. Et c'est pour cela qu'on dit qu'une puissance est parfaite, selon le philosophe (Métaphysique V, texte 17), quand elle ne le peut pas. Car de même que ces affirmations ont force de négation en réalité, ainsi ces négations ont force d'affirmation. Et c'est pour cela que nous disons que Dieu ne peut pas avoir de défaillance et par conséquent, ne peut être mu (parce que le mouvement et la défaillance apportent une imperfection) et par conséquence, il ne peut pas marcher, ni accomplir d'autres actes corporels qui ne se font pas sans mouvement.
2) En raison de la possibilité, on dit que Dieu ne peut faire une chose parce que cela implique contradiction, comme on l'a dit à l'article 5 et de cette manière on dit qu'il ne peut faire un autre Dieu égal à lui. Car cela implique contradiction : il faut que ce qui est fait soit en puissance d'une certaine manière, puisqu'il reçoit l'être d'un autre et ainsi il ne peut pas être acte pur, ce qui est le propre de Dieu lui-même.
Solutions :
1. Cette comparaison ne doit pas être comprise universellement, mais seulement de l'homme et de l'animal.
2. Ce qu'ont dit à la louange de l'homme ne convient pas toujours à la louange divine. Bien plus ce serait un blasphème ; ainsi si on disait que Dieu se repent etc.. Car, comme le dit Denys (Les noms divins 4), une chose est louable dans une nature inférieure qui est blâmée dans une nature supérieure.
3. Il faut comprendre le mot du philosophe sous l'angle de la volonté. Car cette condition est vraie : Dieu peut commettre des choses perverses s'il le veut : car rien n'empêche la condition d'être vraie, bien que l'antécédent et le conséquent soient impossibles, comme il paraît en ceci : si un homme vole, il a des ailes.
4. Rien n'empêche qu'un acte qui serait en soi un péché mortel, si on ajoute les circonstances, ne devienne vertueux ; car tuer un homme est absolument un péché mortel ; mais par l'agent du juge tuer un homme pour la justice avec l'ordre du juge ce n'est pas un péché, mais un acte de justice. De même aussi que le prince d'une cité doit disposer des hommes à la vie et à la mort, et d'autres choses qui concernent la finalité de son gouvernement, qui est la justice, ainsi Dieu a tout à sa disposition pour diriger à la finalité de son gouvernement qui est la bonté. Et c'est pourquoi, bien que tuer son fils innocent puisse être en soi un péché mortel, cependant si cela se fait sur l'ordre de Dieu en vue de la fin qu'il a prévue et ordonnée, même ignorée de l'homme, ce n'est pas un péché mais un mérite. Et il faut parler de la fornication d'Osée de la même manière, puisque il est clair que Dieu est celui qui ordonne toute la génération humaine. Cependant certains disent que ce ne serait pas arrivé en réalité mais selon une vision du prophète. De la prescription à Shiméï, il faut parler autrement. Car on dit que Dieu prescrit de deux manières : 1) En parlant spirituellement ou corporellement par une substance créée, et ainsi il commande à Abraham et aux prophètes. 2) En inclinant, ainsi on dit qu'il prescrivit aux vers de manger le lierre (Jonas 4, 7) Et de cette même manière il prescrivit à Shimeï de maudire David, dans la mesure où il y inclina son c_ur et par ce moyen, signalé ci-dessous, à la solution six.
5. L'opération pécheresse quant à ce qui concerne son entité et son actualité se réfère à Dieu comme à sa cause ; mais on rapporte la difformité du péché au libre arbitre, non à Dieu ; ainsi tout mouvement dans la claudication vient du pouvoir de marcher, mais la difformité vient de la courbure de la jambe.
6. On ne dit pas que Dieu incline les volontés humaines au mal en envoyant la malice ou en les y incitant, mais en permettant et en ordonnant ; ainsi par exemple ceux qui consentent à exercer la cruauté, l'exercent contre ceux que Dieu en juge dignes.
7. Il n'est pas nécessaire, que ce qu'on trouve dans l'homme, quoique qu'il soit à image de Dieu, se retrouve en Dieu et cependant dans le propos, la volonté de Dieu est pour chacun des deux, parce qu'elle n'est pas déterminée à un seul objet. Car il peut faire ceci ou pas, ou faire ceci ou cela ; cependant il n'en découle pas qu'il puisse mal faire un de ces choses, ce qui est pécher.
8. Cette objection tient à ce qui concerne la perfection de la puissance, mais non à ce qui en cause la défaillance.
9. Bien que Dieu puisse faire beaucoup de bien qu'il ne fait pas, cependant il ne commet pas d'omission, parce qu'il ne doit pas le faire, ce qui est requis pour définir une omission.
10. Ici il faut dire la même chose, car celui qui n'empêche pas un péché n'est coupable de péché que quand il doit l'empêcher .
11. Le mot d'Amos est à comprendre comme la peine du châtiment. Ce qu'on dit dans la Sagesse (1, 13) "Dieu n'a pas fait la mort" est compris quant à la cause même de la mort qui est la conséquence du péché ; ou quant à la première institution de la nature, par laquelle il fit l'homme immortel à sa manière.
Article 7 : Pourquoi dit-on que Dieu est tout-puissant ?
Objections :
On le dit tout puissant, semble-t-il, parce qu'il peut absolument tout.
1) Car de même qu'on dit que Dieu est tout-puissant, on le dit omniscient. Mais on le dit omniscient parce qu'il connaît absolument tout. Donc on le dit tout puissant parce qu'il peut absolument tout.
2) Si on ne le dit pas tout puissant parce qu'il peut absolument tout, alors ce pouvoir importé n'est pas absolu, mais accommodé. Mais une telle distinction n'est pas universelle, elle est limitée à un objet. Donc la puissance divine serait limitée à un objet et ne serait pas infinie.
En sens contraire : Dieu ne peut pas faire, comme on l'a dit à l'article 3 et 5, que l'affirmation et la négation soient vraies en même temps ; il ne peut pécher ni mourir. Cela est inclus dans ce pouvoir, s'il est pris absolument. Donc il ne doit pas être pris absolument, et ainsi on ne peut pas dire que Dieu soit tout-puissant parce qu'il peut absolument tout.
3) De même, il semble qu'on le dit tout-puissant parce qu' "il peut tout ce qu'il veut". Car Augustin dit (Enchiridium ch. 96) : "Il n'est appelé tout-puissant pour rien d'autre qu'il peut ce qu'il veut".
En sens contraire : Les bienheureux peuvent ce qu'ils veulent, autrement leur volonté ne serait pas parfaite. Cependant on ne dit pas qu'ils soient tout-puissants. Donc cela ne suffit pas à la raison de la toute-puissance, que Dieu puisse ce qu'il veut.
En plus la volonté du sage ne concerne pas ce qui est impossible. C'est pourquoi aucun sage ne veut que ce qu'il peut ; et cependant n'importe quel sage n'est pas tout-puissant. Donc de même que plus haut.
4) Il semble qu'on l'appelle tout-puissant "parce qu'il peut tout ce qui est possible". On l'appelle en effet omniscient, parce qu'il connaît tout de ce qui peut être connu. Donc à raison égale, on l'appelle tout-puissant parce qu'il peut tout ce qui est possible.
En sens contraire :
On l'appelle tout-puissant parce qu'il peut tout ce qui est possible, ou bien c'est parce qu'il peut tout ce qui est possible pour lui, ou parce qu'il peut tout ce qui est possible pour la nature. Si c'est parce qu'il peut tout ce qui est possible pour la nature, alors sa toute-puissance n'excède pas la puissance de la nature, ce qui est absurde. Mais si c'est parce qu'il peut tout ce qui est possible pour lui, alors à raison égale ; n'importe qui est appelé tout-puissant parce que n'importe qui peut ce qui est possible pour lui. Et en plus il y a la une exposition par une circonlocution qui ne convient pas.
5) De même, on cherche pourquoi Dieu est appelé celui qui peut tout, qui sait tout et non celui qui veut tout.
Réponse :
Certains voulant assigner une raison à la toute-puissance ont accepté des notions qui ne conviennent pas à sa définition ; qui sont plus la cause de sa toute puissance : ce qui concerne sa perfection, sa raison ou son mode de possession.
Certains, en effet, ont dit que Dieu est tout-puissant, parce qu'il a une puissance infinie. Ils n'en donnent pas la raison mais sa cause ; ainsi l'âme rationnelle est cause de l'homme, mais n'est pas sa définition.
Certains même ont dit que Dieu est tout-puissant parce qu'il ne peut pas subir une action, ni être défaillant et il ne peut rien en lui d'autres choses de ce genre qui concernent la perfection de sa puissance.
Certains même ont dit qu'on l'appelle tout-puissant parce qu'il peut ce qu'il veut, et cela il l'a de soi et par soi, ce qui concerne le mode de possession de la puissance.
Toutes ces raisons sont insuffisantes parce qu'elles omettent les raisons des opérations pour les objets qu'implique la toute-puissance. Et c'est pourquoi on doit dire qu'il faut recevoir certaines des trois voies qui ont été avancées en objections et qui disent la comparaison à leurs objets.
Il faut donc dire, comme on l'a dit plus haut, que la puissance de Dieu, quant à elle, s'étend à tout ces objets qui n'impliquent pas contradiction. Et cela ne concerne pas ce qui apporte une défaillance ou un mouvement corporel, parce que cela n'est pas pouvoir pour Dieu. Mais ce qui implique une contradiction Dieu ne peut pas le faire ce qui est impossible en soi. Donc il reste que la puissance de Dieu s'étend à ce qui est possible en soi. C'est ce qui n'implique pas contradiction. Donc il est clair que Dieu est appelé tout-puissant parce qu'il peut tout ce qui est possible en soi.
Solutions :
1. Dieu est appelé omniscient parce qu'il connaît tout ce qui peut être connu ; il ignore l'erreur qui n'est pas connaissable. Ce qui est impossible en soi est comparé à la puissance comme l'erreur à la science.
2. Cette raison conviendrait si le pouvoir se terminait au-dessous du genre des possibles ; de telle manière qu'elle ne s'étendrait pas à tous les possibles.
Pour ce qu'on cherche au sujet de l'autre raison de la toute-puissance, il faut dire que pouvoir ce qu'on veut faire n'est pas une raison suffisante de toute puissance mais en est un signe suffisant. C'est ainsi qu'il faut comprendre la parole d'Augustin.
Pour le troisième argument, il faut dire que Dieu est appelé tout-puissant parce qu'il peut absolument tout ce qui est possible et c'est pourquoi l'objection ne procède pas directement de ce qui possible pour Dieu ou pour la nature.
Pour ce qu'on cherche à la dernière objection, il faut dire que dans ce qui est fait par volonté, comme on le dit (Métaphysique IX, com. 3, 4 et 10) la puissance et la science sont déterminées pour une oeuvre par la volonté ; et c'est pourquoi la science et la puissance sont annoncées en Dieu comme non déterminées universellement, comme quand on dit omniscient ou tout puissant, mais la volonté qui détermine ne peut être pour tout, mais seulement de ce à quoi il détermine sa puissance et sa science et c'est pourquoi on ne peut pas dire que Dieu veuille tout.