Historia Ecclesiastica Gentis Anglorum:
L'Histoire de l'Eglise Primitive en Angleterre.
Livre Un, Chapitre Sept


Chapitre VII

Le Martyr de St. Albain et de ses Compagnons.

Pendant la persécution, un des plus illustres de ceux qui souffrirent la mort pour leur foi, fut St. Albain. Le Prêtre Fortunatus, dans le livre qu'il écrivit pour féliciter les Vierges, parle du grand nombre de martyrs qui furent envoyés aux cieux de toutes les parties du monde, dit: Albanum egregium fæcunda Britannia profert . (Bretagne féconde qui produisit Aubain)

Il était encore un païen lorsque les cruels empereurs publièrent leurs premiers édits contre les chrétiens, et lorsqu'il hébergea dans sa maison un homme du clergé fuyant ses persécuteurs et lui procura asile. Ayant observé son hôte pendant plusieurs jours, il vit que cet homme passait ses journées et ses nuits en veilles et en prière continuelle. Il sentit lui-même une inspiration soudaine de la grâce divine et commença à imiter ce glorieux exemple de foi et de piété. Puis ayant été instruit par de sérieuses admonestations, il rejeta les ténèbres de l'idolâtrie et devint un chrétien d'une totale sincérité de coeur.

Et, lorsqu'il exerça son hospitalité pendant plusieurs jours envers l'homme du clergé dont il est question ci-dessus, un rapport vint à la connaissance du prince impie, que le confesseur du Christ, auquel la gloire du martyr n'avait pas encore été octroyée, était caché dans la maison d'Aubain. Le prince commanda fermement à plusieurs soldats d'aller le chercher. Lorsque ceux-ci arrivèrent à la maison d'Aubain, ce dernier se présenta immédiatement, revêtu des vêtements que son hôte et instructeur portait habituellement. Or, il arriva que le juge, au moment où Aubain fut conduit devant lui, était debout devant un autel et offrait un sacrifice aux démons. Et, lorsqu'il vit Aubain, il fut très en colère que le prisonnier se soit, de son propre gré, livré lui-même aux mains des soldats, et avait ainsi encourru le danger d'être mis à mort. Il ordonna qu'on conduisit le prisonnier devant les idoles des démons, et devant elles, il dit: "Parce que vous avez choisi de cacher une personne rebelle et sacrilège, plutôt que de la livrer aux soldats afin qu'il reçoive la punition qu'il a méritée, parce que vous méprisez et blasphémez contre les dieux, vous allez endurer la punition qui lui est dûe et vous allez souffrir toutes les punitions qui lui auraient été infligées, si vous refusez de vous soumettre aux lois de notre religion. "

Mais St. Aubain qui s'était déjà volontairement déclaré chrétien aux persécuteurs de la foi, ne fut pas du tout intimidé par les menaces du prince; mais, s'étant revêtu de l'armure du combat spirituel, lui dit sans détour qu'il n'obéirait pas à ses ordres. "Alors", dit le juge, "de quelle famille descendez-vous?" "En quoi ceci vous concerne-t-il à quelle famille j'appartiens?" répondit Aubain, "Mais si vous désirez entendre la vérité de ma religion, je vous la ferai connaître, je suis maintenant chrétien, et j'emploie mon temps à la pratique des devoirs chrétiens". "Je vous ai demandé votre nom", dit le juge, " que vous devez me dire immédiatement". "Mes parents m'appèlent Aubain", répondit-il, "et ils vénèrent et adorent le Dieu vivant et véritable qui a créé toutes choses." Alors le juge dit avec colère: "Si vous voulez jouir du bonheur de la vie éternelle, ne tardez pas à offrir un sacrifice aux grands dieux." Ce à quoi Aubain répondit: "Ces sacrifices, que vous offrez aux démons, ne peuvent jamais rien apporter à leurs sacrificateurs; au contraire, ceux qui offrent des sacrifices à ces idoles, recevront pour récompense les souffrances éternelles de l'enfer." Entendant ces mots, le juge fut exaspéré jusqu'à la colère. Il soumit le saint confesseur aux sévices des bourreaux, pensant que la flagellation briserait la constance de son coeur que ses mots ne pouvaient affecter. Mais celui-ci supporta les plus grands tourments pour notre Seigneur, non seulement avec patience, mais avec joie.

Lorsque le juge se rendit compte qu'Aubain ne pouvait être vaincu par la torture, ou qu'il n'abandonnerait pas sa profession à la foi chrétienne, il le condamna à être décapité. Pendant que le condamné était conduit au lieu de l'exécution, tous arrivèrent à une rivière, qui était divisée par un mur et du sable, à l'endroi où il devait être exécuté, et le courant était très violent. Ils virent alors une multitude de personnes des deux sexes, de tout âge et condition, qui s'étaient assemblés, sans aucun doute, par une impulsion divine, pour assister le très saint confesseur et martyr; et ils occupaient le pont sur la rivière, et en rendaient ce soir là le passage presqu'impossible, pour lui et pour tous les autres. Presque tout le monde sortait de la cité pour voir l'exécution; et le juge, qui resta dans la ville, fut laissé sans aucune compagnie.

St. Aubain dont l'esprit était rempli de l'ardent désir d'arriver rapidement au lieu de son martyre, s'approcha de la rivière, et, levant les yeux vers le ciel, adressa sa prière au Tout-Puissant; et voici qu'il vit les eaux se retirer immédiatement, laissant le lit de la rivière à sec, pour qu'ils puissent passer. Le bourreau qui devait le décapiter, observa le prodige et, ému par une inspiration divine, jeta l'épée nue qu'il portait et se prosterna à ses pieds avec l'ardent désir d'endurer la mort, avec ou sans le martyre, plutôt que d'être obligé d'ôter la vie d'un homme aussi saint. Alors que le bourreau devenait un compagnon de la vraie foi, et que le reste des autres hésitaient à prendre l'épée sur le sol, le très vénérable confesseur de Dieu gravissait la colline avec la foule.

Ce lieu très plaisant se situait à peu près à un demi mille de la rivière. Il était orné d'une grande variété de fleurs, ou plus exactement complètement recouvert par elles; il n'y avait là aucune partie trop en pente ou rocailleuse, mais toute sa surface avait été nivelée par la nature, comme la mer lorsqu'elle est calme, un lieu donc beau et d'apparence agréable semblant le rendre convenable et valable pour être enrichi et sanctifié par le sang du martyr. Lorsque St. Aubain eut atteint le sommet de la colline, il pria Dieu de lui donner de l'eau; et aussitôt une source permanente surgit à ses pieds dont le cours fut tracé de telle manière que chacun puisse comprendre que la rivière avait obéi au martyr. Ainsi, on n'a pas pu supposer que lorsqu'il demanda de l'eau au sommet de la colline, qu'il ne l'avait pas puisée dans la rivière d'en-bas. Chacun fut convaincu qu'il etait plus expédient pour la gloire de Dieu qu'il en fût ainsi. Cette rivière, pourtant, ayant été asservie à la dévotion du martyr, et ayant rempli la fonction qui lui avait été assignée, retourna dans son lit et contina à couler comme auparavent.

Après celà, ce très vaillant martyr, ayant été décapité, reçut la couronne de vie que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. Mais le bourreau qui eut la perfidie de se laver les mains dans le sang sacré du martyr, n'eut pas l'occasion de se réjouir de sa mort car ses yeux tombèrent sur le sol au même moment que la tête du martyr béni. Le soldat qui auparavent, par l'inspiration divine, avait refusé d'exécuter la sentence du martyre fut aussi décapité. En ce qui le concerne, il est bien évident, bien qu'il ne soit pas baptisé sur les fonts baptismaux, il fut pourtant purifié par son propre sang, et fut trouvé digne d'entrer dans le royaume des cieux.

Ensuite, le juge, étonné par la nouvelle de tant de miracles célestes, ordonna que la persécution soit arrêtée immédiatement, et il commença par rendre hommage aux saints pour leur patience et leur constance, pour avoir souffert une mort terrible, alors qu'il s'attendait à ce qu'ils abandonnent leur appartenance à la foi chrétienne. St. Aubain souffrit cette mort le 20ème jour du mois de juin, près de la cité de Verulam, qu'on appelle aujourd'hui St. Albans; une église, d'une facture exquise, et convenable pour la commémoration de son martyr, y fut construite aussitôt que la paix fut restaurée dans l'église chrétienne; dans laquelle de nombreuses personnes malades sont guéries même de nos jours et où s'opèrent des miracles fréquents.

À la même époque périrent aussi, Aaron et Julius, habitants de la cité de Leicester [ou Caerleon], et beaucoup d'autres personnes des deux sexes, et en d'autres lieux; qui, ayant subi les tourments du chevalet jusqu'à ce que leurs membres soient disloqués, et ayant souffert diverses cruautés inouïes, rendirent leurs âmes aux joies de la cité d'en-haut, lorsque leur combat fut terminé.