Les Frères Solovioff

En ce qui concerne les références biographiques que Guénon a faites au sujet de Mme Blavatsky dans son Théosophisme, ou l'histoire d'une pseudo-religion, Guénon avoue avoir utilisé presqu'exclusivement le livre de Solovioff:   A Modern Priestess of Isis.   Or ce livre fut écrit par un homme qui avoue sans aucune retenue ni gène, avoir simulé l'amitié pour Mme Blavatsky afin de mieux la perdre. Afin de se défendre de critiques éventuelles pour avoir utilisé des sources peu sûres, Guénon écrit par cet argument d'autorité qui n'est encore qu'une autre de ses innombrables méprises:
Nous répondrons à cela que Solovioff fut tout au moins un philosophe de valeur; peut-être le seul que la Russie ait eu [sic], et que des personnes qui l'ont fort bien connu nous ont certifié que sa probité intellectuelle était au-dessus de tout soupçon;...... (Op. cit. pp 319-320).
La probité intellectuelle de Vladimir Solovioff (1853-1900), philosophe de renom, est peut-être au-dessus de tout soupsçon, mais non pas celle de son frère cadet, Sergueï Vsévolod Solovioff.

Guénon confond ici le faux confident de Mme Blavatsky, écrivain beaucoup plus modeste et auteur (en 1895) du libelle vengeur qui salit la mémoire de cette dernière. L'honnêteté de cet homme est douteuse de l'aveu même de son éditeur et préfacier! Bien que radicalement hostile à Mme Blavatsky, ce dernier estime devoir à la dite "honnèteté intellectuelle" prévenir ses lecteurs et de soulever certaines équivoques sur la version que donne S.V. Solovioff de certains faits. (Solovioff V.S., A Modern Priestess of Isis,  Londres, Longman Green, 1895, pp. XV-XVI). On cherchera vainement aujourd'hui à se documenter sur l'oeuvre de Sergueï Vsévolod, dont tout mension a disparu des anthologies d'auteurs russes. Il semblerait que son oeuvre ne lui ait pas survécu en dehors de la traduction abrégée en anglais par la Société Royale de Recherche Psychique.

Le comble dans cette histoire est que Wladimir Solovioff, philosophe d'une érudition et d'une hauteur de pensée qui faisait l'admiration de son temps, a écrit un article défendant Mme Blavatsky contre ses diffamateurs. Ainsi Guénon, non seulement fait une confusion proche du ridicule (qu'il aurait pu éviter en consultant une anthologie d'auteurs russes dans n'importe quelle bibliothèque publique), mais il prétend malencontreusement se réclamer d'un philosophe qui désavouait radicalement le propos qui était le sien.

Dans une certaine mesure, on peut se demander où réside la source de telles inepties: soit dans la négligente arrogance d'une auteur paresseux et de parti pris, ou dans l'ignorance complaisante de la pseudo -culture de la droite française.... probablement dans les deux.



Wladimir Solovioff (1853-1900) poète et philosophe, était le fils de Sergueï Solovioff le célèbre historien de la Russie. Wladimir s'illustre par son combat désespéré pour la réunion des deux églises Orthodoxes et Catholique qui est illustré par son livre: La Russie et l'Eglise Universelle . Plus tard, déçu par l'étroitesse de vue des autorités ecclésiastiques il se tourne vers la philosophie pure. Ses deux ouvrages les plus importants de cette période sont: la Justification du Bien  et Trois Conversations.

Solovioff n'avait nullement caché la grande considération qu'il portait aux écrits de Mme Blavatsky. Il avait même tenu, en la défendant contre ses diffamateurs, des propos extrêmement appréciateurs sur son ouvrage: La Clef de la Théosophie ,  où elle donnait une synthèse des aspects fondamentaux de sa doctrine de ses Maîtres.

Dans la revue où Mme Blavatsky elle même écrivait fréquemment, Russkoye Obozreniye  [La Revue Russe], Wladimir Solovioff s'exprimait en ces termes, en 1889:

" Il a été dit que la Théosophie est une proposition commerciale et que par elle, une grande quantité d'argent peut être amassée. Le même opposant proclame que les Guides tibétains de la Société, Mahatmas et Chelas [disciples], n'ont jamais existé mais ont été inventés par Mme Blavatsky. A la première proposition, l'auteur [Mme Blavatsky] répond par des données et des chiffres convaincants; quant à la seconde, nous-mêmes, parti étranger à cette affaire, pouvons témoigner que cela est faux. Comment H.P. Blavatsky pourrait-elle avoir inventé la Fraternité tibétaine ou l'ordre des Chelas, alors qu'il est aisé de trouver des renseignements précis et authentiques à propos de l'existence et des caractéristiques de cette Fraternité dans les livres du missionnaire français Huc (Voyage en Tartarie, Tibet et Chine), lequel a visité le Tibet dans la première partie des années quarante, c'est-à-dire quelque trente ans avant la fondation de la Société Théosophique?

" Quoi qu'il en soit, et compte tenu de tous les points faibles théoriques et éthiques de la Société Théosophique, il est évident que cette Société, que ce soit sous sa forme actuelle ou autrement, de même que le mouvement Néo-Boudhiste réveillé par ses efforts, ont un rôle important à jouer dans un avenir proche [ ... ]. Ce dernier ouvrage de H.P. Blavatsky [La Clef de la Théosophie] est particulièrement important pour nous parce qu'il représente le Bouddhisme sous un nouvel angle, insoupçonné jusqu'à ce jour, c'est-à-dire un mouvement religieux sans credo ni dogmes et cependant pourvu d'un but bien défini et unique (tendant à ce que l'homme atteigne à sa propre Evolution Divine à l'opposé d'une croyance en un principe super-humain [...]"

Loc. Cit. in Ryan Charles J., H.P. Blavatsky and the Theosophical Movement, Pasadena (U.S.A.), Theosophical University Press, 1975, pp. 202-203.